Pour diverses raisons, février fut une pause dans ma vie, un mois insaisissable. Il n’existe donc pas sur ce blog.
« Notre Futur se situe dans la marge d’incertitude des sciences » / Annick Bourbon-Rochette
Mars se termine en beauté sur le Printemps à Cluny et Les Rencontres des Pensées de l’Ecologie. Je n’ai assisté qu’à une journée sur les quatre mais elle fut généreuse, sympathique et riche. Voici globalement ce que j’en ai retenu, de manière parfois désordonnée et augmenté de mes propres réflexions.
Table-ronde: Quels récits vers une société écologique et solidaire ?
En présence de :
- Lucile Schmid – Vice-Présidente de La Fabrique Ecologique
- Corinne Morel Darleux -écrivain – autrice entre autres de « Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce »
- Alice Canabate- sociologue – autrice de « l’Ecologie et la Narration du Pire »
- Thierry Libaert – expert en communication des organisations – auteur de Des Vents Porteurs.
Quel est l’impact des récits sur la connaissance et le passage à l’action ?
A.C.: Notre époque se caractérise par une interruption des grands mythes et, dans le même temps, une forte demande de nouveaux mythes ou récits, accompagnée d’une désaffection politique. Le récit vu comme une explication du Monde.
L’écologie politique est une Pensée des conséquences et des limites.
L.S.: 80% des personnes interrogées se disent éco-anxieux.
T.L.: Il y a un gouffre entre déclaration et comportement, méfions-nous des sondages. Les résultats dépendent aussi beaucoup de la médiatisation du sujet sur le moment.
En 1852 déjà, on évoquait une chute de la biodiversité et en 1970 parait le rapport Armand « 100 mesures pour l’Environnement ». L’information est là depuis longtemps mais cela ne change rien. En voici 3 raisons:
1- Les gens pensent qu’il n’y a pas vraiment de problème près de chez eux. C’est pire ailleurs dans le monde, donc loin.
2- Aujourd’hui ça va encore. Les problèmes vont vraiment surgir plus tard.
3- Moi je me comporte vertueusement, le problème, c’est les autres. Ou encore, je ne suis pas responsable, je n’ai pas le pouvoir…
La communication a 4 objectifs:
- Informer
- Convaincre
- Donner envie
- Changer le comportement ( le processus d’exemplarité est efficace)
Paradoxe: les mieux informés, les plus convaincus de la nécessité d’une vraie sobriété sont aussi les plus pollueurs car ils appartiennent à une couche sociale favorisée.
Nous sommes immergés dans la publicité qui lie consommation et plaisir, associé au bonheur. Comment modifier l’imaginaire publicitaire ?
L.S.: Il y a eu le spot des « dévendeurs ».
C.M.D.: Le récit n’est pas qu’écrit, il passe aussi par le cinéma, les jeux vidéo…
L’information est passée mais l’être humain n’est pas qu’un cerveau et c’est plus souvent l’affectif qui guide ses choix. Souvent aussi, on note un problème financier et socio-culturel qui stoppe le passage à l’action. Une partie de la réponse est politique.
Le trépied de la transformation sociale:
- Culturelle – Par exemple retrouver l’intérêt de la lenteur.
- Résistance: comment s’opposer à la destruction. le mot est chargé historiquement, voire tabou, et fait réagir parfois négativement. Accepter de déconstruire, de détruire l’existant, face aux apories (id contradictions insolubles de raisonnement) de notre société.
- Alternatives. Trouver des exemples, imaginer…
Dialogue avec le public:
- Le théorème du barrage: les gens qui habitent sous un barrage ou au pied d’un volcan en nient les dangers. Cette particularité est parente du climato-scepticisme.
- Ce qui pousse à l’action: la pression sociale, le récit modificateur, la modification de l’environnement.
- Attention de bien cibler son public et de le mettre en sécurité, dans de bonnes conditions d’écoute.
- Arriver à une identification (dans un roman par exemple): cela ne concerne pas que les autres.
- L’incertitude fait que l’on souhaite un ordre ( fascisme, brutalités…)
- Quel modèle politique proposer face au libéralisme destructeur et à l’échec du communisme ?
Quelques idées personnelles:
La crise, autrement dit l’effondrement de notre monde actuel, est inévitable et surtout nécessaire car notre société est fondée sur la croissance infinie dans un monde limité. L’arrêt de la croissance économique signifie la perte des fondations de ce système ravageur.
La crise fait peur, à juste titre, car elle s’accompagne de violences extrêmes (qui ont déjà commencé). Cependant il existe de vraies raisons d’espérer: les difficultés rendent les gens plus solidaires, l’expérience le prouve. Les périodes post-crise, historiquement, ont toujours été heureuses et calmes: on est moins nombreux, on a donc assez de place et de nourriture, on reconstruit, on s’entraide, on retrouve le bonheur des relations humaines. On évite les conflits, d’ailleurs inutiles.
Livres conseillés:
- Nous sommes l’étincelle
- Partout le feu
- Les chevreuils rusés (pour les jeunes)
Deuxième conférence-débat, préparée par la Ville de Lyon :
Humains/Non-humains – Vers une santé globale
- Grégory Doucet – Maire de Lyon
- Anne Souyris – Sénatrice de Paris
- Camille Besombes – Médecin spécialiste des maladies émergentes
- Mélody Nicoud – Architecte, Présidente de l’association Santérritoire.
A.S. commence par une précision: La santé n’est pas seulement l’absence de maladie, c’est un bien-être physique, mental et social. Elle est induite par la génétique, le comportement et l’environnement. Elle remarque que les citoyens sont en avance sur les politiques dans ce domaine. Il existe une association Santé France Urbaine, plus directement préoccupée par la santé en milieu urbain, comme son nom l’indique.
M.N. donne des exemples de domaines reliant environnement et santé: l’éclairage public, les ombrières… Pour elle, il s’agit de mettre de la conscience dans la matière, impliquant la tête, le coeur et les mains.
La démarche ERCA consiste à: Eviter de nuire/Réduire sa consommation/Compenser/Améliorer en soignant les lieux.
Rappel: l’air intérieur est 2 à 5 fois plus pollué. La qualité de l’air est un souci pour beaucoup de nos concitoyens.
Les villes et les habitations abritent des animaux dits liminaires: rats, pigeons… et des champignons, entre autres.
Il y a quelques années, la mode était à l’hygiénisme. On enrobait les cours d’écoles, on refusait plantes et animaux dans les établissements publics (EHPAD…). On fait aujourd’hui le chemin inverse. D’après une étude de 1984, un patient hospitalisé guérit souvent plus vite si la fenêtre de sa chambre donne sur un espace naturel.
C.D.: D’actualité sous nos latitudes aujourd’hui, la Dengue, véhiculée par un moustique et une fièvre hémorragique dite du Congo , véhiculée par une tique des pays chauds. Ces maladies arrivent dans de nouveaux environnements, dus au réchauffement climatique et à une évolution récente des territoires. (artificialisation, perte de haies et de biodiversité…). L’impact sanitaire est visible à long terme, au moins cinq ou dix ans après un aménagement du territoire.
Pour nous préparer, le discours emploie souvent des termes guerriers : couvre-feu, insecticides. On cherche un temps court de réaction. Le temps long, plus efficace et moins dommageable, demande plutôt une dizaine d’années. Cela passe par une identification des contextes et paysages écologiques d’émergence et une étude et préservation des écosystèmes. L’écologie de la santé date des années 1960-1980. La recherche sur un territoire donné est multi-spéciste et recherche plusieurs maladies, avec l’aide d’acteurs variés (LPO par exemple). Il convient de surveiller en amont afin de déterminer quand et comment le territoire peut devenir pathogène. C’est la « landscape immunity ».
Il est urgent de réensauvager les communs latents (parcelles communales inutilisées) mais c’est aussi une remise en cause d’un modèle politique et économique.
G.D.: La maladie peut transformer une société, voire le récent exemple du Covid. L’origine de la dernière grande épidémie de peste se situe dans l’Himalaya: un micro-réchauffement climatique a poussé les gerbilles porteuses de ce bacille à changer de territoire.
La santé d’une population est aussi de la responsabilité de l’élu. Contrairement à une recherche de performance immédiate avec un objectif d’efficacité maximale, tout cela dans l’urgence, il convient de rechercher plutôt la « robustesse », c’est-à-dire la capacité à faire face à des modifications imprévues. Cela entraîne une durabilité de la réponse, beaucoup plus économique que le coup par coup. Mais comment transformer le système actuel?
Il faudrait 10m²d’espace vert / habitant comme condition d’une bonne santé. Le lien humain/nature est primordial et passe beaucoup par une alimentation saine qui préserve l’environnement, la santé animale et aussi la santé sociale en retrouvant le temps et le plaisir de manger ensemble. A Lyon, la « Maison engagée de la solidarité et de l’alimentation » propose une cuisine, une épicerie et un restaurant solidaires, avec l’aide de nombreux bénévoles s’impliquant quelques heures par semaine.
Autres projets: la ville nourricière et presque auto-suffisante, le Contrat local de Santé avec des formations et de nombreux partenaires (ARS, médecins, COM COM, associations …). On n’a pas encore compris à quel point la commune est un acteur de la santé.
L’objectif santé permet de faire accepter certaines contraintes. Exemple: la lutte concertée contre le moustique-tigre passe par des écogestes, des plantes, des nichoirs et préservation de l’habitat des prédateurs comme la chauve-souris.
Interventions du public et réponses:
- Quelles évaluations d’impact sur la santé des diverses actions mises en oeuvre ? Il n’y a pas de statistiques ou de travail cartographique par exemple sur l’émergence de cancers du foie et l’utilisation de PFAS.
- Mettons en prison les empoisonneurs !
- Quelles réponses pour les besoins fondamentaux des plus pauvres ?
- Il serait pertinent de flécher certaines dépenses de santé extrêmement onéreuses pour quelques cas individuels sur des aspects plus largement collectifs. En gros, laisser tomber les cas désespérés.
- A-t-on remarqué une baisse de la violence des scolaires suite à une introduction de surfaces plus naturelles (verger, jardin, arbres…)?
- Les élus auraient besoin de plus d’informations de la part de l’ARS.
- La réponse ne concerne pas que le soin. Il faut repenser le financement, l’organisation du système de santé actuel.
- Le travail avance, même s’il est encore parcellaire.
Causerie conviviale avec Cédric Villani: une relecture écologiste de Blaise Pascal
Public nombreux, les gens sont-ils venus pour Pascal ou pour Villani ? Le titre attise la curiosité en tous cas. est-ce un défi que s’est lancé C. Villani par jeu ? En tous cas, le sujet est brillamment traité. Evidemment, comme précédemment, ces quelques lignes reflètent ma vision des choses et ne sont pas forcément fidèles à ce qu’a voulu exprimer le conférencier.
C.V. revient en préambule sur la richesse intellectuelle du XVIIème siècle, avec son bouillonnement et ses contradictions. S’ensuivent quelques précisions biographiques, en particulier sur cette étrange expérience mystique de la Nuit de Feu et sur l’invention de la Pascaline, sorte de première calculette.
« Les libéraux s’attachent aux erreurs, la Gauche aux contradictions et les Ecologistes aux paradoxes »/ Serge Moscovici
Pascal aime les paradoxes, allier le coeur et la raison, s’interroger sur la « machine » humaine. Le premier titre de son célèbre texte sur le pari était d’ailleurs « Le Discours de la Machine ». Pour lui, il est impossible de vraiment connaître l’homme si on l’exclut de son environnement. Il convient de connaître le tout si l’on veut comprendre la partie et inversement. Cette importance des liens est une base de la pensée écologique d’aujourd’hui.
L’homme est de nature fragile par rapport aux forces terrestres. Ce roseau pensant a cette caractéristique cependant: il sait qu’il est mortel. Cette humilité est aussi une caractéristique de l’écologie: on ne maîtrisera pas tout.
« L’homme est la Nature prenant conscience d’elle-même » / Elysée Reclus (entre autres qualités, il est une sorte de précurseur des végétariens)
Sur l’intelligence animale, Pascal s’oppose à Montaigne. Encore un point de proximité avec la pensée écologiste. On peut le voir comme un philosophe « décroissant » en ce qu’il aime « Vivre tranquillement avec ses amis ».
Surtout il imagine cette métaphore qui pourrait s’appliquer à nous aujourd’hui face au dérèglement climatique: Un homme dans un cachot, à qui il ne resterait qu’une heure à vivre mais qui pourrait utiliser cette heure à se sauver, va-t-il préférer jouer au piquet ? Ce serait absurde.
Souvent opposé à Descartes, il pense que le coeur permet d’accepter les changements, pas la raison. Nous avons peut-être perdu beaucoup de temps à nous adresser à l’intelligence de nos compatriotes et même de nos décideurs. Bien sûr, les écologistes représentent une strate socio-politique de la population où les sciences et les intellectuels comptent beaucoup mais, en politique, la bonne formule compte plus que le bon raisonnement. Pascal, un allié stratégique ?
Film conseillé: Ma nuit chez Maud