
J’ai sorti aujourd’hui un vieux livre usé par les fébriles recherches d’une ancienne lycéenne en quête de citations ou d’idées pour une dissertation. Il faut dire que c’est une véritable mine d’or ! Séquence nostalgie donc pour cet essai qui se lit comme un roman, émaillé d’anecdotes comme celle-ci :
C’est vrai ce qu’on me dit, Léger, demande un jour le Président du Conseil Raymond Poincaré au poète Saint-John Perse. Il paraît qu’à vos moments perdus vous taquinez la muse?
«Si ça vous distrait…» me disait gentiment un voisin, qui avait sur les Belles-lettres exactement le même point de vue que le Président Poincaré. Ne jouons pas trop vite les offensés. Il est vrai qu’écrire distrait aussi, et dans plusieurs sens du mot distraire.
Plus loin il ajoute avec humour :
Il est vrai que l’écrivain a presque toujours l’impression que son œuvre, ce n’était pas le moment de l’écrire, ni de la publier. Car il se trouve toujours, sur son chemin, de bonnes personnes, exigeantes, sévères, pour lui faire remarquer doucement que c’est très bien, monsieur Pierre de Ronsard d’avoir écrit Les Sonnets pour Hélène mais tout de même, au lendemain de la Saint-Barthélemy, ce n’est pas le moment ; que c’est très bien, monsieur Descartes, d’écrire le Traité des Passions, mais tout de même, en pleine Fronde ; croyez-vous que ce soit bien le moment ? La littérature, l’art apparaissent toujours comme des activités sinon anachroniques, du moins légèrement intempestives.
Les relations entre le temps et les écrivains ne s’arrêtent pas là car l’auteur souligne avec beaucoup de justesse que l’on peut se sentir le contemporain de Molière beaucoup plus que de son voisin de palier.
J’ai l’impression que nous avons plus que jamais besoin de défendre la littérature, non pas que les gens n’éprouvent plus le besoin de lire, les bibliothèques sont très fréquentées, mais parce que plus que jamais, dans un monde de commerce et de finances, les décideurs pensent que l’art, non, vraiment, ce n’est pas sérieux.