Blaise Cendrars


la ville et ses lumières artificielles
la ville et ses lumières artificielles

Quand j’imagine Blaise Cendrars, je vois toujours quelqu’un de jeune, un peu « speedé » et même essouflé. Cette impression vient vraisemblablement de la fulgurance de ses images, de la rapidité du rythme de ses phrases. Quand on repose un texte de Cendrars, obn a l’impression d’avoir couru un marathon et escaladé une montagne. Il faudrait prendre sa tension avant et après, je suis sûre qu’on aurait des surprises !

Un lycéen vient de me proposer à l’étude un poème et m’a donné envie d’en parler un peu.

Ville-Champignon

Le titre est un raccourci : le poème raconte la naissance d’une ville aux Etats-Unis, sur ce continent où rien ne semble impossible. Cette ville va partir de rien : d’une spore, d’une bulle de savon, d’une idée, et grandir comme un champignon

Vers la fin de l’année 1911 un groupe de financiers
yankees décide la fondation d’une ville en plein
Far-West au pied des Montagnes Rocheuses

Dans ce titre, avec le terme « Ville » accolé à « champignon », on a déjà tout : la technique humaine, les relations humaines et la nature, ainsi que l’extrême rapidité suggérée par un simple trait d’union.

Les Yankees, nordistes donc, qui construisent au Far-West n’ont pas de racines à cet endroit, pas d’histoire. Ils se posent là en colonisateurs, comme sur une autre planète, sans rien comprendre à la majesté de l’endroit : les Rocheuses.

Un mois ne s’est pas écoulé que la nouvelle cité
encore sans aucune maison est déjà reliée par
trois lignes au réseau ferré de l’Union

Est-on admiratif, surpris, critique, vis-à-vis de cette cité sans maison ? C’est une nouvelle cité et l’adjectif pèse de tout son poids car à l’origine la Cité était d’abord une construction politique et non de la simple maçonnerie. Il semblerait que l’humain se soit un peu perdu en route.
Les travailleurs accourent de toutes parts

Les humains que l’on rencontre ne sont pas des habitants mais des « travailleurs », comme réduits à n’être que des bras. Le cerveau est ailleurs, il ressemble à un groupe de financiers. Là encore, il n’y a pas véritablement d’être humain mais de simples fonctions.

Le temps est compté, au sens propre : premier mois, deuxième mois… comme une gestation.

Dès le deuxième mois trois églises sont édifiées et
cinq théâtres en pleine exploitation

Ah voici des lieux de culte et des lieux artistiques mais l’esprit, saint ou non, n’y souffle pas. Ce sont des coquilles vides.

La nature « subsiste » avec de rares spécimens: »quelques » face à une « forêt » de métal. Après la nouvelle cité, voici la nouvelle nature.

Autour d’une place où subsistent quelques beaux
arbres une forêt de poutres métalliques bruit

nuit et jour de la cadence des marteaux
Treuils

La gestation semble douloureuse, on entend un « halètement » à travers le vacarme infernal des machines.

Halètements des machines

Les « carcasses », c’est l’intérieur d’un corps mort. Elles doivent s’aligner, dans un ordre qui n’a rien de naturel. Oh bien sûr, le génie humain transparaît dans la technique nécessaire pour bâtir des immeubles de trente étages. On remarquera que l’auteur n’utilise pas le terme « immeuble » mais bien « maison », vous savez cet espace familial où l’on se sent bien. Quelles drôles de « maisons » , ces immeubles vides de trente étages !

Les carcasses d’acier des maisons de trente étages
commencent à s’aligner
Des parois de briques souvent de simples plaques
d’aluminium bouchent les interstices de la
charpente de fer
On coule en quelques heures des édifices en béton
armé selon le procédé Édison

Dans plusieurs tribus anciennes, et en particulier chez certains indiens d’Amérique, le nom, c’est l’accès à la personnalité profonde. Sans nom, on n’est rien, on n’a pas d’âme. Ce nom était parfois caché, on en donnait un autre, faux, pour ne pas offrir à ses adversaires un avantage ou une prise sur vous-même.

Par une sorte de superstition on ne sait comment
baptiser la ville et un concours est ouvert avec
une tombola et des prix par le plus grand jour-
nal de la ville qui cherche également un nom

La chute est terrible à force d’être minable : la ville n’a pas de nom et le journal qui en parle non plus. Dans ce grand courant d’air qu’est cette structure vide d’hommes, d’humain, et de sens, aucun ange ne passe.

Vers la fin de l’année 2011, soit un siècle plus tard, en des temps d’indignation où l’humain ressurgit enfin, je dédie cet article à tous ceux qui retrouvent le « bon sens » et qui campent sous la neige à Wall Street, aux humbles qui osent se révolter parce que vraiment, ce que leur proposent les financiers, non, ce n’est pas la vie qu’ils souhaitent.

4 réflexions sur « Blaise Cendrars »

  1. Bonjour
    je vous remercie pour votre blog,
    je vous adresse le début d’un texte,(court) autour de Cendrars, si ces pauvres mots retiennent votre attention vous trouverez le poème complet sur mon blog: Effleurements livresques, épanchements maltés – https://blog.holophernes.com
    J’ai écrit beaucoup d’autres poètes, écrivains, peintres…

    Bonne lecture

    ‘Je lis souvent ce qu’écrivait Freddy, de la Chaux de Fond,
    quand j’ai envie de voyager sans mettre mes pieds l’un devant l’autre,
    quand j’ai envie de lire un si mauvais poète –
    mauvais poète parce qu’il n’avait pas la gueule de l’emploi –
    mais poète transporteur…’

    © Mermed

  2. c’est juste génial annick! je n’ai pas tout plagié bien sûr, mais j’ai repris qq unes de tes idées pour mon commentaire, merci beaucoup 😀

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