Pour Vanessa, qui m’a donné le départ de cette recherche.
De l’enfer imaginé par Dante au sulfureux Jardin des Délices de Jérôme Bosch, nombreux sont les hommes qui ont décrit ou peint des lieux imaginaires.
Au XVI siècle, Thomas More imagine une société idéale. le titre de son oeuvre donnera le terme « utopie ». Heureuse époque où on croyait encore possible de tels paradis ! A tel point d’ailleurs que l’on a essayé. La réalité a montré que l’enfer est pavé de bonnes intentions. La sagesse de La Fontaine souligne d’ailleurs que le bonheur des uns n’est pas celui des autres.
En fait, à chaque fois, on oublie totalement de laisser leur place aux différences, aux éléments perturbateurs, et un grain de sable vient totalement pervertir la machine trop logique qui n’avait pas prévu l’imprévu. Alors on rajoute des règles aux règles et encore plus de rigidité, des défenses, des interdits, des murailles. Il est à noter qu’en types d’éléments perturbateurs, on se méfie particulièrement de l’amour et de la culture et donc des femmes…, ainsi que de tous ceux qui ne rentrent pas clairement dans des cases, les exceptions, toutes les personnes « différentes » ou non majoritaires : gauchers, homosexuels, autistes, handicapés…. Toutes les sociétés totalitaires passées ou présentes en sont la preuve.
Nous sommes aujourd’hui revenus des espoirs naïfs des utopies après quelques millions de morts mais la peur du futur nous tenaille. Les écrivains contemporains travaillent plutôt à des dystopies où ils vont souvent choisir d’exposer un élément de notre époque poussé à son extrême. Ces romans, dont on tire souvent un film ou une série en épisodes, connaissent un grand succès.
Il semble donc que tant qu’on ne valorisera pas la différence, on ne donnera pas à un groupe des chances de s’améliorer globalement et même de survivre. L’observation de la nature devrait nous instruire : une expérience récente a montré que si l’on sélectionne un groupe de poules pour leur capacité de bonnes pondeuses, et qu’on garde un groupe témoin de poules variées non sélectionnées, le groupe des poules « hétéroclites » finit par pondre globalement plus d’oeufs.
Le film « Divergente« , sorti en 2014, s’intéresse précisément à cet aspect. Comme souvent, ce monde imaginaire est un monde post-apocalyptique où l’on essaye de ne pas reproduire les erreurs du passé et on en en refait d’autres, bien sûr. Il est dangereux dans cette société d’être impossible à placer dans une case, d’avoir des aptitudes ne correspondant pas à celles qui sont répertoriées.
« Hunger Games » avec un tribut à payer en jeunes gens, comme dans la légende du Minotaure, s’attaque au goût actuel pour la téléréalité et pour les images crues de guerres ou de cataclysmes, entretenu par les media. Du pain et des jeux, panem et circenses, la recette pour que le peuple se tienne tranquille n’a pas changé depuis les jeux du cirque à Rome. Cela permet de donner des émotions que l’on peut contrôler et canaliser.
Le roman Le Passeur de Lois Lowry décrit un monde où on se méfie des émotions à tel point que le monde est vu sans couleurs grâce à une prouesse technique et que toute sexualité est bannie avec de petites pilules à prendre chaque jour.
The Handmaid’s tale joue plutôt sur la baisse du taux de fécondité. Les rares femmes fécondes deviennent des servantes d’un type particulier, chargées de la reproduction. On s’appuie sur la religion pour mettre en place ce système de castes. Tout se fait progressivement, de manière presque insensible. Cela m’a fait penser à un témoignage : la mise en place du système nazi en Autriche, raconté par une jeune fille de l’époque.
Le fait que ces cauchemars du futur soient finalement plausibles est un élément de leur succès et donne à réfléchir à la manière dont évoluent ou pourraient évoluer nos sociétés. Car contrairement aux utopies, les dystopies reprennent nombre d’éléments de sociétés actuelles, en les poussant simplement à l’extrême.
Le monde d’Alice au pays des Merveilles, où tout est inversé parce qu’elle se trouve de l’autre côté du miroir, est un exemple d’un postulat de départ qu’on amène logiquement au bout. Dans ce monde symétrique du nôtre, non seulement on doit se diriger à droite pour aller à gauche mais la reine de coeur y est méchante ( en fait, c’est une allusion à Judith, la dame de cœur).
Les miroirs comme frontière entre plusieurs mondes coexistants, dont certains cauchemardesques, sont utilisés également dans les romans pour enfants de mon amie Kriss Gardaz. On les retrouve dans Les Fiancés de l’Hiver, passionnante trilogie de Christelle Dabos où seuls peuvent passer dans un miroir ceux qui ne se mentent pas à eux-mêmes et se voient tels qu’ils sont. C’est dire s’ils sont rares ! Les dessins sont magnifiques.
Je compte sur mes lecteurs pour nous parler de leurs dystopies préférées en commentaire.
Vous pouvez aussi lire mon article sur Cultiver son bonheur
et mon roman d’anticipation Les Fantômes du Futur