Prière – Rosemonde Gérard


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La forme très classique de ce sonnet ne prépare pas à la déclaration qui suit. On pourrait parler de déisme plus que d’agnosticisme, c’est en tous cas un constat très personnel d’inadéquation des religions. Le texte date de l’immédiat après-guerre : 1948, et ce n’est pas un hasard si les idées et convictions sont bouleversées à cette époque et si un vent de liberté semble autoriser ce type de pensée.

Une idée force du texte est l’humilité. D’abord avec le début des deux quatrains : l’auteure s’adresse à Dieu sous le titre de Seigneur, puis demande le pardon. Que se reproche-t-elle ? C’est là que toute l’ironie du texte commence : elle a « trop » aimé la nature que Dieu a créée.  Elle préfère cette nature à la religion avec « l’argent » et le pouvoir symbolisé par les lys : la religion, l’argent, le pouvoir…

Seigneur, pardonnez-moi. Parmi l’avoine grise,

J’ai trop aimé les soirs, les fleurs et les fourmis;

Je préférais, aux lys d’argent de votre église,

Ceux, dans les sentiers frais, que vous-même aviez mis.

Comme on le voit avec l’énumération du deuxième vers, cette nature est diverse : elle englobe le temps, le règne végétal et le monde animal. Les sentiers indiquent une autre voie vers Dieu que celle proposée par la religion, dans une relation plus directe : « vous-même » et non le truchement d’autres hommes.

Comment croire sans religion, se demandent certains. Rosemonde Gérard a sa réponse. Dans le doute de l’existence d’une divinité, évoqué avec « indécise », la condition de la vie : le soleil, peut être une raison de croire. La périphrase « l’astre du ciel » permet de le relier   au « ciel », qui est symbole de divinité.

Seigneur, pardonnez-moi. Parmi l’heure indécise,

J’ai pris l’astre du ciel pour un doute éclairci;

Et d’un coeur plus penché que la tour de Pise,

J’ai pris le ver luisant pour une étoile aussi.

Que signifie ce coeur plus penché ? D’un côté l’individu avec ses émotions, sa foi, de l’autre cette réalisation humaine dans son équilibre instable. Penché sur quoi ? Pour croire, il est de tradition de considérer que l’on s’élève, qu’on élève son regard. Mais le miracle de la vie n’est pas seulement dans un ciel lointain et inaccessible, il est aussi dans la vie la plus simple, dans l’humilité d’un ver de terre, qui est peut-être aussi significatif qu’une étoile. Le signe que chacun cherche, la preuve de l’existence de Dieu, ne se trouve pas qu’au ciel ou dans des hautes réflexions philosophiques.

L’auteur souligne ironiquement « j’ai pris pour », en le répétant, comme si elle s’était trompée et en demandait pardon.

Comment pouviez-vous donc écouter ma prière

Quand, par une fenêtre, un parfum de bruyère

Suffisait pour troubler mon coeur qui palpitait?

On poursuit sur le double sens ironique (je rappelle que l’ironie est une figure de style par laquelle on laisse entendre le contraire de ce qu’on dit). Le dieu créé par les hommes, le dieu  des églises ne pouvait écouter la prière de quelqu’un qui manque de concentration. Le symbole de la fenêtre qui ouvre sur une réponse, apportée par un parfum naturel, marque une foi toute d’émotion et non de construction. Avec « suffisait », on est au plus simple et au plus direct de la relation avec le divin. Les religions avec leurs certitudes obligatoires sont loin de ce trouble humain.

Seigneur, chaque printemps dictait la parabole

De mon âme si grave et pourtant si frivole…

Et je n’ai su prier qu’en mots que j’inventais !

Ce ne sont pas les religions qui lui dictent des paraboles, mais là encore le miracle de la vie renouvelée comme une promesse divine, symbolisée par « chaque printemps ». La nature humaine est présentée dans sa complexité avec les adjectifs « grave » et « frivole », et c’est là que réside peut-être cette étincelle de divin, avec la création des mots inventés.

C’est ainsi que cette Prière, à la forme d’un acte de contrition, est en fait une action de grâces.