Printemps 2021


Le foisonnement du printemps

Bienvenue à mes nouveaux abonnés, c’est chaque fois un plaisir pour moi.

Pour commencer, une lecture bienfaisante, d’une auteure que j’admire énormément: « Un Fils à Maman » de Véronique Mougin. Comment parler de la difficulté à laisser partir ses enfants en faisant rire aux éclats le lecteur ? Après « Où passe l’Aiguille« , qui m’avait captivée, je vous recommande ce deuxième roman pour son humour décapant. Même la dédicace est d’une finesse incroyable.

Pour continuer, deux extraits d’Alice des Deux Côtés du Miroir, disponible prochainement. Avec une question: amour et sagesse font-ils bon ménage ?

Serrant sa fille dans ses bras, Iris ne prononcera pas les mots qui lui viennent aux lèvres, c’est encore trop tôt. Dans quelque temps, elle pourra lui expliquer que l’Autre n’a pas vocation à colmater un manque ou remplir un vide, il se pose de surcroît sur une base solide et équilibrée, avec une légèreté qui ne le rendra jamais importun. « Enfin, dans l’idéal bien sûr », complète-t-elle en pensée.

Et un deuxième:

Alors l’ange déchu parle, longtemps. Il commence en évoquant le cinquième temps[1] de la mazurka, cette vieille danse si romantique avec un court et fragile instant où le couple enlacé reste suspendu. Il arrive toujours un moment où la pause est bienvenue, où un silence crée l’harmonie et ce sera tout l’objet de cette dernière journée.


[1] Il y a différentes sortes de mazurkas, le temps de suspension n’est pas toujours le cinquième.

Et avant de terminer, quelques mots sur ce nouvel hymne du peuple: HK – Danser encore (Officiel) – YouTube

de HK Kaddour et les Saltimbanks.

La musique est simple et entraînante, le refrain souvent répété, les rimes suivies: tout est en place pour une mémorisation rapide. Cette chanson a aussi le mérite de se décliner en plusieurs versions en remplaçant « danser » par « chanter » ou « soigner ».

Ce texte sort comme un cri et met en mots tout ce que nous ressentons en cette période troublée. Ce n’est pas tant du virus, omniprésent sur les media, dont il est question, mais plutôt de la gestion de cette crise sanitaire. Le manque de logique de mesures changeantes, annoncées comme provisoires mais qui finalement durent et ne démontrent pas leur efficacité, est particulièrement déstabilisant psychologiquement. Rarement à ce point a-t-on eu l’impression d’ être sous la coupe de « crânes d’oeufs », ces technocrates qui semblent incapables de se mettre cinq petites minutes à la place des « gens », ces personnes ordinaires qui vivent dans un petit espace, ont des enfants en bas âge, et doivent impérativement travailler pour payer leur loyer.

Dans cette chanson, les termes choisis pour les rimes portent tout le sens.

« Danser encore », c’est ne pas perdre le sens de la fête, c’est ne pas résumer la vie humaine à des heures de travail.

« Nos corps » : le possessif souligne la violence d’un monde où la liberté physique n’existe plus. On a évoqué l’obligation d’une vaccination, les assignations à domicile ou presque…

La grille d’accords reprend l’image de la partition des musiciens, qui sont en harmonie. Isolés, nous ne pouvons plus nous accorder.

Un clin d’oeil aux « Oiseaux de passage » de Jean Richepin, paru en 1876, nous relie aux anarchistes d’antan. Le refus de l’ordre établi transparaît dans les négations et les termes associés: « jamais », « ni », « ne … pas », « briser ».

Le « silence » est vu comme un bâillon mortifère. Il semble qu’aucune voix n’ose s’élever et critiquer les ordres venus d’en haut. Le pouvoir n’apparaît plus comme démocratique: « le roi a parlé ». Mortifère encore est le terme « sentence ». On se sent jugé et condamné sans avoir droit à un avocat. Effectivement, on se demande où sont les contre-pouvoirs. Face à ce consensus obligatoire, les voix qui s’élèvent semblent dénoter. Elles ne sont pourtant pas insultantes ou violentes, juste irrévérencieuses face aux courtisans et à une étiquette qui nous renvoie aux temps du Roi soleil. Et tout à coup, l’élégance change de camp. Elle n’est plus parmi cette caste supérieure qui regarde de haut les gueux et les « gens qui ne sont rien ». C’est l’élégance de ceux qui pensent, qui aiment, qui vivent.

L’absurdité de la vie qui nous est proposée est dénoncée dans le couplet suivant, renforcée par le mot « ordonnance » qui renvoie au pouvoir des médecins, avec encore une coloration de l’ancien régime et des ordonnances royales. Même l’heure du coucher semble être imposée avec le couvre-feu, comme si nous étions devenus des enfants ou des esclaves et le programme tourne sur lui-même avec ces mots qui riment: auto, boulot, métro… On attend dodo et, surprise, c’est Conso. En effet, privés d’à près tout, nous sommes toujours des consommateurs, surtout des GAFA et des grandes surfaces. On atteint le summum avec ces auto-attestations mais on les signe pourtant. Ceux qui ne rentrent pas dans le rang, ceux qui dansent ou qui pensent, sont considérés comme des ennemis publics. Comme dans un Moyen-âge obscurantiste, ils sont mis au ban de la société par une exclamation par essence dénuée de réflexion: « Malheur à… »

On retiendra « autoritaire » et « sécuritaire » mais aussi, plus finement, cette doucereuse « insistance » qui rompt le lien de « confiance » qu’un peuple doit avoir envers ses chefs. Le confinement, nous l’avons bien compris, n’est pas tant physique que mental: on confine jusqu’à nos consciences, nous enlevant le statut d’êtres pensants et adultes.

Les deux derniers couplets proposent de résister, avec justement ce qui nous rend humain. Résister, c’est d’abord refuser de se laisser impressionner. Garder notre libre-arbitre, c’est être encore capables de voir ce qu’il y a de déraisonnable dans ce qui nous est imposé. Avec « Vendeurs », l’économie s’introduit dans le jeu avec l’abondance de sentiments malsains et nocifs comme la peur, l’angoisse. On atteint des extrêmes avec « indécence ». Là encore, la bienséance et les codes du vivre ensemble ont changé de camps.

Comme le feraient les conseils d’un médecin des âmes, l’expression de l’artiste se met à l’impératif et fait appel à notre intelligence avec « sachons » mais il s’agit bien de santé. Une santé individuelle mais aussi globale, « sociale » et même « environnementale ». Le confinement a en effet fortement aggravé les dégâts à la nature et à la démocratie. Là encore, la santé change de camp face à la « démence ». Gardons ce qui nous fait humain, semble dire le poète, l’intelligence et le sourire. Le sourire est considéré comme le propre de l’homme mais c’est aussi le symbole de relations sociales apaisées, la marque de sentiments bienveillants, un signe de paix envers les autres, une façon de dire qu’on va bien, et tant d’autres choses essentielles.

Ames sensibles, n’allez pas plus loin, ma plume parfois libère ses angoisses. Pourtant je pense sincèrement que le positif sera à la hauteur du négatif, en particulier la solidarité, la bienveillance et l’avancée vers une société meilleure viendront à bout de cette période d’incertitude.

C’est venu tout doucement, sans qu’on s’en rende vraiment compte. Une canicule, puis deux et trois, des incendies, des épidémies… Bien sûr, cela avait toujours existé, juste un peu moins violent, juste un peu moins fréquent. « La folie », disait Einstein, « c’est de faire toujours la même chose et d’attendre une réponse différente ».  Mais plus que jamais l’Economie guidait le Peuple, alors on ne voulut rien changer, et surtout pas le type de société. Mais quand même, des voix encore s’élevaient et, bien que discordantes, éparses, inaudibles parfois, elles semblaient de plus en plus nombreuses. Alors, le pouvoir politique, un peu partout, s’est fait plus autoritaire, en s’appuyant sur les peurs, et les gens ont accepté parce que c’était provisoire et aussi parce qu’on n’y pouvait rien, sans doute. Avant même de quitter les corps, la liberté avait quitté les esprits. Puis on a encouragé la délation et désigné à la vindicte populaire ceux qui tentaient de résister, de ne pas faire comme tout le monde. Il y eut des sanctions, des procès, des arrestations, mais une information faisant oublier les précédentes, on a arrêté de tenir le compte de ceux qui avaient disparu et de tout ce qui avait changé. Une année, il n’y a pas eu de printemps. Les fleurs ne sont pas revenues au sortir de l’hiver. Cela irait mieux plus tard, il fallait de la patience, voilà tout, disait-on. Mais à force d’attendre, les souvenirs de ce qui avait vraiment existé sont devenus vagues, confus, et surtout ressassés par les plus âgés. Il fallait rester positif, cette phrase agissait comme un mantra et d’ailleurs, si un oiseau avait disparu, et cela restait à prouver, d’autres étaient encore là. Moins de rossignols, plus de corbeaux.