
Dans ce livre paru en 1956, nous sommes bien loin du vocabulaire et de la syntaxe des enfants d’aujourd hui et les illustrations montrent le petit garçon, Trott, héros de l’histoire, avec les culottes courtes d’antan. Mais est-ce un livre pour enfants ou plutôt pour adultes ayant gardé une âme d’enfant?
C’est pourtant un livre qui ne devrait pas tomber dans l’oubli: il n’a pas vocation pédagogique, ce qui est reposant, mais porte sur l’univers de l’enfance le regard du petit Trott, avec ses questions, ses incompréhensions, ses difficultés à appréhender le monde des adultes. L’humour et l’émotion vous feront apprécier ce livre ou vous donneront envie de le relire si vous le connaissez déjà, et pour une fois, on peut bien se laisser aller à apprécier une lecture naïve, pleine de bons sentiments.
Il faudra être sage pour deux…Trott soupire. C’est déjà bien difficile d’être sage pour un; mais pour deux, c’est tout à fait impossible. Trott l’explique à sa maman, qui rit encore plus fort. […] C’est très drôle comme les grandes personnes rient quelquefois de choses qui sont excessivement sérieuses.
On effleure parfois des inquiétudes plus profondes:
Quand je serai grand, je veux être marin.
Papa sourit. Il y a beaucoup de choses dans son sourire, des choses heureusement que Trott ne peut pas démêler. Des ombres épouvantables se dressent dans son souvenir…Ah, non, Trott ne sera pas marin.
Mais le principal sujet reste la difficulté de communiquer et de comprendre le point de vue de l’autre et ce thème récurrent est traité de manière variée mais toujours avec humour.
Trois témoins d’un même événement vous feront des récits tout différents. Si ces trois témoins sont nounou, Trott et Mlle Lucette, ces différences tiendront du prodige.
Terminons sur le nécessaire apprentissage de la séparation:
Maman laisse retomber la lorgnette. […] C’est fini. Le dernier fil est brisé.
Et sur l’incroyable pouvoir des enfants:
Et meurtrie, brisée, désolée, maman sent tout de même la grande consolation qui vient des enfants. […] C’est qu’en consolant, ils ne plaignent point leurs propres douleurs. […] Et il n’y a rien de si doux que leurs baisers simples, seules choses terrestres peut-être où il n’y ait nulle tristesse, nulle crainte, nulle amertume, et rien de la saveur de la mort. […]
A l’horizon, la dernière fumée s’est évanouie au-dessus de la falaise. Le petit groupe [Trott, sa maman et sa petite sœur] est maintenant tout seul en face de l’infini du ciel, de la mer et de la vie.
On évite pourtant la mièvrerie et l’humain n’est ni embelli ni amoindri, ni jugé : maman trouvera l’absence trop longue, aura une liaison et les parents divorceront, ce qui sera une nouvelle épreuve hélas « ordinaire » pour le petit Trott.
L’auteur, André Lichtenberger est né à Strasbourg en 1870. Il meurt à Paris en 1940. Sociologue et romancier, il laisse des écrits extrêmement variés dont la série « Trott » où il montre une connaissance fine de la psychologie enfantine (de l’époque?).