Jonas


à Loïc, sans qui je n’aurais pas prêté attention à ce passage de la Bible.

 

L’ histoire de Jonas a eu beaucoup de succès. Elle convient aux enfants et l’iconographie est généralement très naïve, comme si personne n’avait réussi à exprimer la véritable complexité de ce court récit de l’ancien testament.

Jonas nous ressemble : il a une tendance à procrastiner, à désobéir, à se montrer faible, bougon ou colérique. Ainsi lorsque Dieu lui demande de se lever et d’aller « crier » contre Ninive, Jonas se lève mais part en courant dans la direction opposée. Il n’a apparemment pas très envie d’être un lanceur d’alerte,  ce qui était déjà à l’époque un rôle difficile et dangereux. Ce n’est pourtant pas tous les jours qu’on entend clairement la voix de Dieu. A moins qu’intérieurement, cette voix de l’Esprit soit plus fréquente qu’on ne l’avoue, vous savez, cette voix qui vous dit ce que vous devriez faire.

Manque de chance, les prénoms hébraïques renferment souvent le destin de leur propriétaire dans le symbolisme des lettres qui le composent et c’est le cas de Jonas, ou Iona. Peut-être faut-il s’égarer pour mieux se trouver, toujours est-il qu’il finira par affronter le côté de sa personnalité qu’il n’a pas envie de voir, symbolisé par la ville de Ninive et il s’y rendra, mais seulement après avoir passé trois jours et trois nuits de réflexion dans un cachot, heu, dans un cachalot.

« Le trésor est en soi mais il convient de voyager pour le trouver » dit l’écrivain Eric Holder.

Pour avancer, il faut être d’abord en déséquilibre, pour évoluer, il faut être dans l’inconfort. Dieu fait donc se lever une belle tempête et tant que Jonas n’aura pas le courage de s’affronter lui-même au lieu de se fuir, cette tempête durera. Et pendant ce temps, Jonas dort. Ce sommeil de Jonas est lourd de sens : fermer les yeux pour ne pas voir l’évidence, cela vous est certainement arrivé comme à moi.

Heureusement Jonas  finit par comprendre et il prend la décision de quitter sa vie d’avant, qui ne peut plus durer ainsi, avec le mal de mer ou le mal être, comme vous voudrez. Il se jette ou demande qu’on le jette (on = des marins psychologues ?) à l’eau. Au passage, remarquez la justesse de l’expression « se jeter à l’eau ». L’eau du déluge, l’eau du baptême, l’eau qui tue ou qui lave… Il entre alors dans les profondeurs de lui-même ou de ce gros poisson, parfois représenté comme une baleine ou comme un monstre beaucoup plus allongé et vrillé sur lui-même, rappelant les méandres du cerveau : le Léviathan

Il y restera trois jours et trois nuits, durée symbolique bien sûr. Dans le Livre de Jonas, on peut lire  » Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes », sa réflexion l’entraîne jusqu’à la racine des choses qui semblent les plus difficiles à déplacer.

Et puis le nouveau Jonas sera recraché sur le rivage et cette fois il se rend directement à Ninive, où il va marcher pendant trois jours. Il annonce la destruction de la ville : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite ». La durée est symbolique là encore mais la destruction semble inéluctable.  Ce qui m’étonne, c’est la réaction des habitants : lorsqu’on nous annonce la fin proche de l’humanité, nous ne modifions pas vraiment grand chose à nos habitudes, eux vont vraiment accepter de tout changer immédiatement, ce qui va les sauver.

Dieu pardonne et sauve Ninive mais Jonas le prophète récalcitrant est dans une colère noire : tout ça pour ça ! Tous ces efforts pour finalement changer d’avis. Et  il passe pour qui avec ses prédictions qui ne se réaliseront pas ! Et il préfère mourir que vivre en acceptant la divine compassion. La sagesse réside peut-être dans le fait de s’accepter, tout en travaillant sur soi. Pour Jonas, la réflexion n’est pas achevée, le stage en baleine a ses limites.

Dieu est décidément dans une phase de grande patience car, au lieu de filer une paire de claque à Jonas pour lui apprendre qui commande, il lui prépare une blague. Mais avant, il lui demande de se questionner : « Fais-tu bien de t’irriter ? » La réponse est dans la question bien sûr mais cela demande encore de réfléchir à ce qui est bien, à l’utilité et aux raisons de la colère… Je comprends aussi la patience divine pour quelqu’un comme Jonas qui est toujours en recherche,  en progression intellectuelle, contrairement aux habitants de Ninive enfermés dans leur ville ou dans leurs réponses simplistes.

Et Jonas, qui nous ressemble toujours un peu, s’installe sur une colline un peu à l’écart de la ville. Il se met aux premières loges comme devant un écran de télé pour voir ce qui va arriver, tout en souhaitant que ce soit bien catastrophique. D’un côté le poids des mots divins, de l’autre le choc des photos…

Réchauffement climatique ? En tous cas, le soleil tape. Dieu fait pousser un arbuste, un ricin, pour donner de l’ombre. Jonas est bien content de pouvoir profiter de ce que la planète lui offre. Mais Dieu fait périr le ricin le lendemain par un ver qui ronge l’arbre. Que symbolise ce ver ? A vos commentaires…

Jonas a tellement chaud avec le vent du sud en plus de la canicule qu’il souhaite à nouveau mourir. Dieu lui donne encore des pistes de réflexion : est-ce une bonne colère alors qu’il n’a ni planté ni soigné le ricin ? Mais Jonas s’entête et répond : « Je fais bien de m’irriter jusqu’à la mort. » Belle perspective !

Dieu fait alors le parallèle entre la nature, symbolisée par le ricin, et la grande ville. Il parle à Jonas comme à quelqu’un qui a les capacités de l’entendre, tandis que les habitants de la ville sont soit des animaux soit des humains « qui ne savent distinguer leur droite de leur gauche », des gens incapables de comprendre. Je ne sais si vous croyez en Dieu mais Dieu, lui, croit en Jonas et ça donne un bel espoir. Les psychologues nous expliquent qu’un enfant ou un individu en qui l’on croit a plus de chance de « croître » justement, de grandir, d’apprendre.

D’après les évangiles de Matthieu et Luc, Jésus répond à ceux qui lui demandent un signe, une preuve de l’existence de Dieu : « Jonas est le signe ».  Les premiers chrétiens se reconnaissaient d’ailleurs non au signe de la croix mais au signe du poisson. Il ajoute que nous n’aurons rien d’autre comme preuve et souligne le parallèle entre Jonas et « le fils de l’homme »  (lui-même ?) qui sera lui aussi trois jours dans un tombeau mais en ajoutant cette phrase sibylline : « Il y a ici plus que Jonas ».

 

 

 

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