Écrit de Pierre, contributeur.
C’est une banale histoire d’occasion manquée mais elle n’en est que plus touchante.
Après s’être perdus de vue pendant des années, deux personnes âgées se retrouvent et parlent. On parle des événements du passé, on échange grosso modo le récit de sa vie, puis on se laisse aller davantage, avec parfois des silences… On n’a pas été malheureux…pas très heureux non plus… Après un silence un peu plus long l’homme dit à la femme : « Quand nous étions jeunes, un jour, je t’avais emmenée au cinéma, c’était tel film, t’en souviens-tu ?
– je m’en souviens.
Silence général puis l’homme reprend : « Tu sais, j’avais une idée derrière la tête ce jour-là. Dans l’obscurité, je voulais prendre ta main. Cette idée m’obsédait, je n’ai rien vu du film en fait. Mais je n’ai pas osé, j’ai craint l’irréparable ou peut-être ai-je simplement manqué de courage, j’avais seize ou dix-sept ans et bien peu d’expérience.
Et la femme répond : » Et moi je n’attendais que ça ! J’étais follement amoureuse de toi, comme on l’est à seize ans. Mais à cette époque-là, dans notre petite ville surtout peut-être, ce n’était pas aux filles de faire des avances, si peu que ce soit. Alors nous sommes passés tous les deux à côté de notre vie.
Il y a peut-être des milliers de gens de par le monde qui peuvent dire : « C’est mon histoire. » C’est bête à pleurer.
Moi aussi, lorsque j’avais quinze ans, je suis allé au cinéma dans des conditions similaires, à cette différence près que c’était la jeune fille qui avait des idées derrière la tête. Des idées effrayantes pour moi, trop jeune et immature à ce moment-là. Alors qu’il n’y avait rien entre nous que des sourires, quelques mots gentils, des frôlements de mains et qu’entre nous, je n’étais pas amoureux d’elle, elle me présentait à sa famille avec des airs entendus qui semblaient signifier : « C’est mon petit ami, mon fiancé, comme on disait à l’époque. » Et les gens semblaient la croire. Moi, je ne voulais pas m’embarquer là-dedans, c’était trop, mais je n’osais pas mettre les points sur les i, je ne voulais pas lui faire de la peine et puis, malgré tout c’était une jolie fille. En fait, je me laissais faire.
Et un jour, nous sommes donc allés au cinéma, nous aussi, à bicyclette (le détail est important). Et, comme dans l’histoire narrée plus haut,et bien que je ne sois pas amoureux, dans la salle obscure j’ai eu le sentiment qu’il fallait faire quelque chose, au moins pour ne pas avoir l’air bête. La main sur le bras ? oui peut-être ou carrément l’embrasser, comme je voyais les autres faire. Mais moi non plus, je n’ai pas osé. Le film s’est terminé sans que rien ne se passe. Il a fallu rentrer. Nous prenions pour cela un petit chemin tranquille et le temps passait, et plus il passait, plus je me disais que j’étais vraiment godiche, qu’il fallait agir. La distance qui nous séparait de notre quartier diminuait inexorablement. Nous ne disions pas un mot. Soudain, prenant mon courage à deux mains, je résolus de la prendre par le cou. mais j’avais tellement pris mon courage à deux mains qu’il ne m’en restait plus, semble-t-il, pour tenir le guidon. Elle, de son côté, a dû être surprise par ce brusque mouvement de ma part et faire un écart. tant et si bien que nous sommes tombés tous les deux chacun de notre côté dans le fossé. Nous sommes remontés sur nos vélos après avoir un peu ri et nous être beaucoup frotté les genoux, chacun les siens malheureusement. Puis nous sommes rentrés sagement à la maison.
Telle fut, si je puis dire, ma première expérience amoureuse.
Une réflexion sur « timidité »