Eté 2013


Voici déjà un article :

Deux livres recommandés :

  • Le goût de la marche – anthologie de textes de marcheurs choisis par Jacques Barozzi, de Giono à Pérec en passant par Jean-Jacques Rousseau ou Jacques Lacarrière, Margueritte Duras, Stevenson, Philippe Delerm….
  • Les voyageurs des miroirs – Kriss Gardaz – Beaucoup d’imagination pour ce roman fantastique à destination des enfants et une belle écriture, sans céder à la  facilité. Le livre en main, on ne le pose plus jusqu’à la dernière page.

Des dizaines de maisons, construites à l’intérieur d’arbres gigantesques, ouvraient d’innombrables fenêtres rondes sur un enchevêtrement de ponts suspendus

Le Lac / Alphonse de Lamartine


lac près d'Autun
lac près d’Autun (71)

Le Lac

Bien sûr Le Lac est le poème le plus célèbre d’Alphonse de Lamartine mais attardons-nous sur ce titre que nous croyons connaître. En effet, le sujet du Lac n’est pas un lac mais le temps qui passe. Le Lac n’est qu’un détail du paysage. Les poètes aiment bien choisir l’eau comme symbole du temps. Peu original ? Lamartine va renouveler et approfondir cette métaphore.

Le poème commence par la description d’un océan, étendue magnifiée par l’ampleur des  alexandrins, la trajectoire en droite ligne (sans retour), les intensifs (« éternelle », « toujours », « jamais »). Face à cette force, l’être humain n’a pas la maîtrise de son destin (« poussés », « emportés »). Le pluriel présente cette humanité comme autant d’individus subissant cette puissance irrésistible. Le ton est celui de la plainte dont la négation souligne la vaine supplication.

Autant le rythme des deux premiers vers  font sentir les rafales du vent, autant les deux suivants, lus en un seul souffle, sont à l’image de la pensée humaine, qui voit plus loin, qui s’interroge sur l’avenir. L’océan des âges, autrement dit le temps, apparait comme immense et en opposition à cette ancre, cet arrêt impossible d’une seule journée.

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?

Le rétrécissement de l’océan des âges au lac agit en fait comme une focalisation sur un destin particulier. Le lac est un même lieu qui permet de comparer deux moments opposés, l’un heureux , plein de la douceur d’être deux et le second empreint de regret et de solitude. Seul, le poète s’adresse au témoin du passé, un témoin oculaire : « regarde », « tu la vis ». La répétition de s’asseoir, la même pierre, permettent de juxtaposer les deux images et d’en souligner la différence.

Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !

« Ainsi » en anaphore marque que tout est semblable et pourtant tout est différent : à la nature pérenne s’oppose le fragile temps humain.

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un souvenir plus précis s’impose, dans un contexte auditif cette fois, et qui permet de réentendre la voix aimée et de garder le souvenir des mots murmurés. La mémoire de l’eau, dans ce nouveau sens de cette expression habituellement scientifique, est sollicitée : «t’en souvient-il ? ». Un passé simple souligne la brièveté de l’instant : « Le flot fut attentif ». Il faut dire que les mots tombent sur l’eau comme des objets.

Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :

« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

Rêve de toujours que ce souhait de faire durer les bons moments : « Retiens la nuit ! » chantera une idole plus populaire au siècle suivant. Quant à mourir plus vite, il n’est pas certains que les malheureux le souhaitent en si grand nombre, Lamartine, ou plutôt son amie, a un peu vite fait de les jeter en pâture au Temps, en échange de leur propre vie.

Assez de malheureux ici-bas vous implorent ;
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.

Pas de naïveté cependant car on sait bien que la demande est vaine.

 Mais je demande en vain quelques moments encore,

Le temps m’échappe et fuit ;

Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ;

et l’aurore va dissiper la nuit.

« Carpe diem » sera donc la philosophie de la conclusion avec cette belle formule « Il coule, et nous passons » où la virgule est peut-être le caractère le plus chargé de sens du vers. Deux actions : couler, avec une valeur d’éternité du présent, passer, plus actif et donc moins durable d’autant plus que se profile dans passer l’ombre de « trépasser ». Deux sujets : il/nous et un « et » qui lie logiquement et temporellement les deux et enfin cette virgule qui introduit un rapport de causalité : Le temps s’écoule puis et en conséquence nous trépassons.

Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! »

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Nouvelle demande : puisque le temps ne ralentit pas, le souvenir pourrait, lui, graver pour l’éternité ces instants :

Hé quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus ?

Le ton est maintenant à la colère : le temps est un voleur, comme le chantera Brassens plus tard avec ce voleur qui chipe l’heure à la montre de l’oncle Archibald.

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

Inutile de s’adresser au Temps mais peut-être les témoins, et nous revenons au lac, peuvent-ils d’une certaine manière fixer telle une photographie le souvenir de l’instant privilégié.

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux !

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés !

On notera au passage « molles » qui qualifie le reflet de la lune alors que ce sont en réalité les vaguelettes qui donnent cet aspect liquide. Procédé efficace pour nous faire imaginer ce rayon de lune et par le biais de ce reflet sur l’eau, nous nous représentons un instant exactement ce qu’a vu le poète. Le but est atteint : ce pâle trait de lumière a bien rendu éternel l’instant d’émotion du couple. Graver un moment d’amour dans un rayon de lune, ce n’est pas donné à tout le monde, « respect » Monsieur de  Lamartine.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit et l’on respire,
Tout dise : « Ils ont aimé ! »

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