Rimbaud – Les Assis


Rimbaud adolescent
Rimbaud adolescent

C’est un euphémisme de dire qu’Arthur Rimbaud fut un adolescent difficile. D’après Verlaine, ce poème fut écrit par Rimbaud lorsqu’il était élève de seconde, en 1868-69. Il ne fut publié qu’en 1883.

Nous connaissons tous des adolescents et nous amusons ou nous irritons de les voir prompt à la critique et sans nuances dans leurs jugements. Age impitoyable qui peut même utiliser maintenant les nouvelles communications pour insulter avec une certaine verdeur de propos et même des termes crus une personne qui n’eut pas l’heur de leur plaire.

Arthur Rimbaud fut tout cela mais avec génie et cela fait une sacré différence. Dans ce poème, il s’attaque aux bibliothécaires. Le texte est magnifiquement dit par Léo Ferré.

La description commence par le visage, et les pauvres «assis» n’ont rien à envier aux créatures des films d’horreur. La «loupe» est une maladie des peaux vieillissantes. Le rejet en début de vers suivant de «vertes» contribue au rythme chaotique de l’ensemble, tout en insistant sur cette couleur maléfique.

Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues

Vertes

 On poursuit avec un aperçu de leur attitude, avec tout au long un champ lexical du corps humain et en particulier du squelette, associé à la vieillesse et la maladie.

[…]leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,

 S’ajoute alors avec «hargnosités» venant du mot «hargne» un sentiment d’agressivité latente qui diffuse une certaine angoisse, d’autant plus que tout cela est «vague», on ne sait pas comment ni surtout pourquoi mais on sent qu’on nous en veut et qu’on est en danger. Cette hargne a pris corps et, se plaquant sur le squelette, est indissociable du personnage.

Le sinciput plaqué de hargnosités vagues

Comme les floraisons lépreuses des vieux murs

 Cette comparaison, outre la reprise du champ lexical de la maladie avec « lèpre »  annonce avec «floraison» une sorte de printemps pitoyable, dégoûtant parce qu’associé à la vieillesse. En effet, ils ont une sorte de sexualité maladive:

Ils ont greffé dans des amours épileptiques

Leurs fantasque ossature aux grands squelettes noirs

De leurs chaises

 Les chaises prennent corps puisqu’elles ont un «squelette» et les bibliothécaires ne font ni plus ni moins que l’amour avec leurs chaises. Là encore le rejet laisse attendre la découverte de leurs étonnants partenaires et le met en valeur.

 Comment avoir des relations avec des chaises ? La suite est explicative:

[…] leurs pieds aux barreaux rachitiques

S’entrelacent pour les matins et pour les soirs!

 Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges

Sentant les soleils vifs percaliser leur peau

Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges

Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

 Cette relation n’est pas seulement physique:

Et les sièges leur ont des bontés : culottée

De brun, la paille cède aux angles de leur reins

 On retrouve emprisonné et dégradé un vague relent de nature, déjà annoncée avec «crapaud» et «neige».

L’âme des vieux soleils s’allume emmaillotée

Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains

Et les voilà un peu musiciens, dans des postures toujours aussi lamentables . Ces essais artistiques ne font que souligner le gouffre qui les sépare d’une vie intellectuelle, comme celui qui les éloigne d’une vraie nature ou d’une véritable vie sexuelle.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes

Leurs dix doigts sous leurs sièges aux rumeurs de tambours

S’écoutent clapoter des barcarolles tristes

Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour.

Ils sont toujours représentés au pluriel, n’ayant qu’une sorte d’existence dupliquée.

Le rythme du poème prend un nouvel essor, c’est le bal des vampire associé au retour de la momie. Le héros a appuyé sur le bouton qui déclenchait tout le système.

oh ne les faites pas lever ! C’est le naufrage…

Et les sonorités chuintantes menacent comme des serpents:

Ils surgissent, grondant comme des chats gifflés,

Ouvrant lentement leurs omoplates ô rage !

Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés

Le film d’horreur continue avec les bruits de pas et les lueurs mystérieuses qui sont dans les films du genre. Le héros tend l’oreille, inquiet.

Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves

Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors

Et leurs boutons d’habits sont des prunelles fauves

Qui vous accrochent l’œil au fond des corridors

Le dernier vers amorce un pas de plus: le labyrinthe, le minotaure (avec les prunelles qui vous guettent), l’enfermement, la torture (accrochent l’oeil) sont suggérés. La menace de mort s’ajoute avec les vers suivants, mais une menace mystérieuse:

Puis ils ont une main invisible qui tue :

Au retour, le regard filtre ce venin noir

Qui charge l’œil souffrant de la chienne battue

Et vous suez pris dans un atroce entonnoir.

La menace s’éloigne, ils se sont rassis, mais ils ont la rancune tenace:

Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,

Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever

Et, de l’aurore au soir, des grappes d’amygdales

Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever.

Enfin ils s’endorment et rêvent…de bébés, la scène est familiale et caricaturalement touchante:

Quand l’austère sommeil a baissé leurs visières,

Ils rêvent sur leurs bras de sièges fécondés

De vrais petits amours de chaises en lisière

Par lesquels de fiers bureaux seront bordés;

Des fleurs d’encre crachant des pollens en virgule

Les bercent, le long des calices accroupis,

Tels qu’au fil des glaïeuls le vol des libellules

On ne peut pas terminer sur cette belle image, le dernier vers rappelle le côté bassement physique de l’acte sexuel:

Et leur membre s’agace à des barbes d’épis.

 

 

 

 

 

 

Une réflexion sur « Rimbaud – Les Assis »

  1. Excellent. I was searching reference about Rimbaud’s letter to Verlaine with which he sent his five poems to him-this being one of the poem.

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