
Ce poème de Voltaire me touche beaucoup par la justesse de son propos : en effet, je pense comme lui qu’on « meurt deux fois ».
Il y a beaucoup de dignité à savoir « quitter la table », ceci dit sans jugement de ceux qui sacrifient à la mode du « jeunisme », chacun affronte la vieillesse comme il peut…
Si vous voulez que j’aime encore,
Rendez-moi l’âge des amours;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.
Après avoir constaté l’impossibilité de revenir en arrière, Voltaire nous donne cette belle image du « Temps » , vu comme un guide certes autoritaire : « inflexible rigueur » mais aussi comme une sorte de sage et de conseiller. En effet le Temps nous « avertit » : ce qui est une forme d’injonction, mais présentée avec l’apparence de la bienséance. Il nous » prend par la main », en nous entraînant avec autorité bien sûr mais aussi avec une certaine douceur. Et il nous appartient de prendre la décision de se « retirer » comme le souligne l’emploi du pronom « je ».
Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l’Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M’avertit que je me retire.
Il ne reste plus grand chose à sauver mais nous pouvons un peu moins souffrir : Celui qui n’accepte pas son âge est encore plus malheureux ! Admirons au passage la construction en chiasme.
De son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage.
Qui n’a pas l’esprit de son âge,
De son âge a tout le malheur.
x
Laissons à la belle jeunesse
Ses folâtres emportements;
Nous ne vivons que deux moments;
Qu’il en soit un pour la sagesse.
Mais cette sagesse ne peut masquer toute la tragédie du vieillard qui se rend soudain compte que « quitter » les fêtes et les joyeux moments signifie beaucoup plus. L’exclamation « quoi ! » est un cri de souffrance. Il ne manquera à personne, personne ne viendra plus à lui par plaisir ou affection mais au mieux par devoir. Être vieux, c’est souvent être seul, et cela même si on est entouré de monde : on devient transparent, les gens ne vous remarquent plus, ne s’adressent plus à vous. Et même si l’amour n’est qu’illusion ou folie, les doux moments qu’il engendre sont des « cadeaux » divins qui aident souvent à dépasser les coups durs de la vie. Et surtout la perte est définitive : « pour toujours », placé en tête de phrase, est ainsi mis en valeur. Il n’y a plus d’espoir de retour, d’ailleurs « consoliez » est au passé.
Quoi ! Pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel qui me consoliez
des amertumes de la vie !
Voltaire observe que lorsque le désir d’amour vous quitte et qu’on n’est plus désiré par personne, on est déjà mort au monde. La mort biologique, ensuite, n’est plus qu’une formalité. S’il y a donc deux morts, la première est beaucoup plus dure que la seconde comme le montre l’opposition entre les deux intensifs « insupportable » et « rien ». L’expression « je le vois bien » souligne qu’il en fait l’amère expérience au moment où il écrit ces vers.
On meurt deux fois, je le vois bien :
Cesser d’aimer et d’être aimable,
C’est une mort insupportable;
Cesser de vivre, ce n’est rien.
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euh… pourquoi manque-t-il la fin du poème? Cette analyse était extremement interessante et constructive, je trouve donc ça dommage
Pour dire la vérité, je trouve les trois dernières strophes moins en accord avec mon humeur du moment, je ne sais pas trop quoi en dire. L’amitié qui remplace l’amour, c’est bien aussi mais triste quand même… Pas inspirée…