Pourquoi aimons-nous une croissance qui nous fait du mal ?
On parle beaucoup de croissance en ce moment, il est important de préciser qu’il s’agit de croissance de la production. Cette croissance a eu des avantages, elle a maintenant surtout d’énormes inconvénients. Elle est aujourd’hui devenue une obsession, au point de la vouloir ou la croire infinie. Elle ne s’accompagne plus d’une amélioration globale du bien-être de la population mais au contraire d’un accroissement des inégalités sociales. Elle est clairement corrélée au dérèglement climatique, elle détruit l’environnement et abime la santé humaine (horaires décalés, stress, burn out…). Bref elle nous rend malheureux par toutes sortes de biais. Mais nous l’aimons. Pourquoi ?
Revenons aux peuples premiers ou aux philosophes grecs pour qui l’homme fait partie intégrante de la Nature, au même titre qu’une sauterelle ou une fougère.
L’arrivée du Christianisme change fondamentalement cette représentation. L’homme est considéré par essence supérieur aux autres espèces et doit les dominer. La nature est désacralisée. Toutefois, Saint François d’Assises reviendra plus tard à plus de sagesse et aujourd’hui le pape François incite les croyants à suivre son exemple.
On espérait que le siècle des Lumières ferait évoluer cette vision totalement anthropocentrée avec l’avènement des scientifiques et l’arrivée de nouvelles connaissances comme celle de la rotation de la Terre autour du soleil. En fait, on a surtout inventé de nouvelles techniques pour maîtriser la Nature.
Au XIXème siècle, les Sciences économiques et sociales montrent que la croissance est un moyen de maintenir le lien social, comme une sorte de mission collective à laquelle chacun contribuerait. Une nouvelle organisation du travail donne toute sa valeur à la main d’œuvre par le biais de la valeur ajoutée. Les ressources sont considérées comme gratuites et ce qui est gratuit ne vaut rien. La Nature est occultée.
Les trente glorieuses au XXème siècle, avec leur 5% de croissance de PIB annuels, restent un modèle de prospérité dans l’imaginaire collectif.
Les années 1970, avec la naissance d’un féminisme marxiste, soulignent le lien entre l’oppression des femmes et les intérêts d’une classe dominante dans une société patriarcale mais ne font pas encore le rapport avec le pillage des richesses naturelles. Aujourd’hui, la notion d’écoféminisme établit clairement la corrélation entre l’oppression des femmes et la destruction de la Nature. Les états, les sociétés ou les individus qui ne respectent pas les femmes sont aussi ceux qui saccagent la Nature.
Mais comment déconstruire des siècles de représentations mentales ? Comment lutter contre des techniques publicitaires qui utilisent les récentes découvertes sur le fonctionnement du cerveau humain ? Créer de la frustration et promettre des récompenses, ça marche vraiment bien. Outre l’obsolescence programmée des appareils, il y a aussi l’obsolescence imaginaire qui fait qu’un produit démodé est vite mis au rebut. Résultat: la masse des objets manufacturés est supérieure à la masse du Vivant sur Terre. ( Le Vivant : humains, animaux, végétaux)
Face à cela, l’écologie apparaît comme punitive. Ne pas acheter les dernières chaussures à la mode occasionne une réelle frustration, une souffrance. Face à cela, la philosophie du « Less is more » est quasiment inopérante. Elle fonctionne aussi dans l’autre sens d’ailleurs « more is less ». Et pour qui a essayé de vivre plus sobrement, elle est pourtant tellement vraie. Certains s’en sont rendus compte pendant cette crise du Covid 19, allant même jusqu’à changer radicalement de mode de vie. Mais ils sont très peu nombreux.
Il faudra bien cependant accepter de se répartir un gâteau moins gros, avec plus de justice sociale et en trouvant d’autres richesses et d’autres bonheurs dans le lien familial, amical, amoureux, social ou dans la spiritualité. Si nous ne nous organisons pas pour le faire politiquement, nous y serons très prochainement forcés dans l’anarchie et le désordre, tout simplement parce que les lois de la physique sont supérieures à celles de l’économie. Notre planète est limitée, ses ressources aussi. Les temps de régénération et de renouvellement sont lents et se comptent en millions d’années.
Le corps humain a ses limites aussi : avec +4°C de réchauffement global, il ne restera sur Terre qu’un quart de la population humaine actuelle. Températures léthales, événements climatiques extrêmes, famines et pandémies, pollution de la terre, de l’eau et de l’air, sans parler des conflits induits, maintiendront de gré ou de force notre espèce dans des limites raisonnables. On espère que cela n’ira pas plus loin et qu’une vie rapidement plus sobre sera de mise avant que des boucles de rétroaction positives ne fassent de notre Eden un désert inhabitable.
Combien de temps reste-t-il pour faire ce choix ? Nous n’avons que des probabilités, issues de calculs savants : 3 ans, peut-être 5 ou même 10, guère plus vraisemblablement.
Merci à Jade Boivin et Philippe Ramos pour leurs explications dont je me suis largement inspirée.
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