La décroissance


Ce texte doit beaucoup aux explications d’Arthur Keller, dont vous pourrez retrouver les conférences sur Youtube.

Le postulat de départ est que nous allons vers une catastrophe majeure dans l’histoire du Vivant sur Terre. J’entends déjà « Ce n’est pas certain ! » « Comment peut-on dire cela ? »

Le premier problème est que nous faisons partie du problème. J’en veux pour preuve cette anecdote récente: mi octobre 2021, un camion chargé de produits corrosifs a eu un accident à Lux, commune de Saône-et-Loire et 1200 litres de ce produit se sont déversés dans une petite rivière, affluent de la Saône, la Corne.

Les réactions lues sur les réseaux sociaux laissent pantois. Il y a ceux d’un village voisin qui sont heureux qu’on ne leur ait pas coupé l’eau alors qu’elle a été coupée à Lux puisqu’une zone de captage était potentiellement touchée. Tant pis pour les copains donc. Il y a ceux qui apprécient l’horaire de l’accident, 5 heures du matin, ce qui n’a pas occasionné de bouchon à l’heure où eux-mêmes devaient traverser ce carrefour. Toujours ce petit nombril tellement important. L’anthropocentrisme est une catastrophe !

En revanche, je n’ai pas lu beaucoup de messages s’interrogeant sur le type de produit, sa nocivité lorsqu’il est dans l’eau, les dégâts causée à la faune et à la flore. Plus personne ne s’étonne du manque d’informations ou d’explications, c’est tellement habituel. Et puis, il suffit qu’on vous donne les consignes à suivre, comme si on était un enfant incapable de comprendre. Dans ce cas précis, ne pas arroser son jardin à l’eau du puits par exemple.

Parallèlement à ce problème d’égoïsme exacerbé, il y a la silencieuse disparition du Vivant. Pour les seuls vertébrés ( mammifères terrestres et marins, reptiles, oiseaux, poissons, etc.): moins 70 % en cinquante ans. Et on ne parle pas de la Flore, des insectes et autres invertébrés. La sixième extinction de masse ! Mais pas encore ma petite personne, ouf !

Vous avez peut-être entendu parler de boucles de rétroaction positive. Ah, enfin quelque chose de positif ! Euh, non. En langage clair, on appelle ça un cercle vicieux, c’est-à-dire que les conséquences d’un problème deviennent les causes d’un problème plus vaste encore. Ainsi l’excès de CO2 dans l’atmosphère est un des facteurs de dérèglement du climat qui entraîne des sécheresses et des incendies qui relâchent du CO2 dans l’atmosphère… C’est un peu plus grave qu’un simple cercle vicieux d’ailleurs parce que ça devient exponentiel. (« Exponentiel », mes souvenirs de maths du collège avec cette courbe qui s’élève de plus en plus verticalement, et si l’abscisse marque le temps, ça veut dire de plus en plus vite, plus fort, plus violent, plus brutal).

A part quelques platistes isolés ( ceux qui croient que la terre est plate), tout le monde a compris que notre belle planète n’a pas grossi depuis plusieurs milliards d’années. Elle a l’avantage de régénérer pas mal d’éléments mais pas tous et il lui faut du temps en plus. Ah mais on est tellement malins, nous les humains, qu’on va arriver à substituer une machine ou une découverte à ce qui va manquer. Plus d’abeilles, on invente une petite machine volante, plus d’arbres, c’est pas grave non plus, on va trouver. On n’est pas un peu hors-sol, là ?

Et la croissance verte alors ? Elle est pas belle cette idée ? La croissance a un seul indicateur: le PIB, qui est une moyenne. La Nature, le bonheur, la justice, le bien-être, etc. ne sont pas des critères retenus. Un pays qui a beaucoup de pauvres et quelques très riches peut se féliciter de sa croissance. Or la croissance, uniquement économique donc, est liée à celle du gaz à effet de serre. Un enfant de 6 ans peut donc comprendre que plus de croissance va apporter plus de gaz à effet de serre.

Il devient urgent de trouver d’autres indicateurs et en conséquence d’autres formes de gouvernance.

La réalité est que nous aurons moins de ressources pour résoudre plus de problèmes, certes inégalement répartis mais personne ne sera épargné, même pas les riches européens.

Parlons des pénuries. Il en est de conjoncturelles, elles sont passagères et parfois élaborées pour faire monter les prix, comme l’OPEP et le pétrole ou bien dues à des paniques irraisonnées comme le papier toilette lors du confinement ou l’essence en Angleterre fin 2021. Elles peuvent être organisées afin de garantir à chacun un minimum comme l’électricité en Chine ou l’eau potable en Iran. Elles peuvent aussi être prévisibles comme le cuivre, le lithium ou le sable. M’enfin du sable, il y en a plein le Sahara ! Lorsqu’on parle de matière première, il faut considérer deux choses: la qualité, sans laquelle cette matière ne sera pas utilisable et l’EROI. Le quoi ? Le retour d’investissement sur l’énergie, c’est-à-dire que l’équivalent d’un baril de pétrole ou d’un kilowatt ne doit pas dépenser plus d’énergie qu’il ne rapporte, en comptant l’extraction et le transport. Cela signifie que du gaz de mauvaise qualité situé dans un endroit inaccessible et lointain a le mérite d’exister, certes, mais qu’il sera inutilisable en fait.

A ce stade de la lecture, on commence peut-être à saisir que des pans entiers de l’économie vont s’effondrer et, comme des dominos, des gouvernements vont tomber et des populations vont se trouver démunies. Du manque à la colère et du sentiment d’injustice à la violence, il y a un pas vite franchi. La plupart des effondrements des civilisations passées ont débuté par un épisode climatique et des pénuries. Qui veut changer quand tout va bien ? On va subir le chaos avec son lot de guerres et de famines, à moins que …

A moins qu’on anticipe. Pour empêcher la catastrophe climatique, il est trop tard maintenant. Pour l’amoindrir, la rendre moins brutale, il est toujours temps ( on parlera de pisser sous la douche tout à l’heure). Ce choix : anticiper ou subir, est un choix politique. C’est celui que nous devons faire au plus tard en 2022. Referendum, vote, élections, l’individu seul ne peut rien sans le politique. Remarquons aussi que le politique ne pourra rien sans le peuple et qu’une collaboration entre les nations sera indispensable.

Il est urgent de désinvestir, même si c’est douloureux. Quels pans de l’économie sont néfastes, destructeurs du vivant ? Il va falloir couper dans le vif, élaborer des plans pour reclasser les chômeurs. Cela sera peut-être plus facile qu’on ne croit car on remarque en ce moment que beaucoup de gens démissionnent et cherchent un autre travail qui donnerait un sens à leur vie. Effet passager post-confinement ?

En ce sens la décroissance n’est pas la récession, c’est un projet de société. Certains commerciaux parviendraient, dit-on, à vendre de la neige aux esquimaux, eh bien qu’ils mettent leur talent au service d’un changement des imaginaires. On pourrait rêver, non du dernier parfum à la mode mais d’une vie plus sobre où les relations humaines s’appuient sur la cuture et l’entraide plutôt que sur l’envie et la jalousie.

Alors on a peur, bien sûr mais cette peur doit être un moteur pour agir et non se traduire par un repli sur soi et une soumission au premier homme providentiel qui passe. Un papa rassurant comme le fut Staline, surnommé le Petit Père du Peuple, ça vous dit ? Certains sont déjà à l’affut et nous commençons à accepter toutes sortes de privation de liberté et de manquements au respect fondamental dû à chaque citoyen sans vraiment d’états d’âme. On est sur la mauvaise pente, je vous dis !

Agir, oui, mais comment ? Comment entrer en résistance ? Comment faire pour que la liberté d’entreprendre ne soit pas liée à la liberté de détruire ? Quelle société souhaitons-nous pour nos enfants ou pour nous-mêmes dans une dizaine d’années ? Et d’abord, qu’est-ce que la société, le contrat social ? Comment fait-on quand ce contrat ne nous satisfait plus ?

D’abord, ne confondons pas le mal avec son symptôme. Le dérèglement climatique n’est qu’un symptôme d’un système inadéquat et mortifère. Plutôt que de mettre un petit pansement sur le symptôme, attaquons-nous au mal, au dysfonctionnement d’une société qui préfère l’or et l’argent à la vie et au respect. Une révolution ? Si l’on veut mais rapide et non brutale, intelligente, créative et non violente.

Ensemble, nous pouvons faire pression sur nos gouvernants, si sensibles aux sondages d’opinions ou aux intentions de vote. Ensemble, nous pouvons détruire les lobbies d’intérêt privé. Ensemble, nous pouvons boycotter les entreprises qui s’attaquent au Vivant. Ce sont des colosses aux pieds d’argile, en trois mois, ils sont par terre.

Et puis construire des alternatives, essayer, se tromper, recommencer. Observer, s’instruire. Il existe tellement d’associations, vous trouverez forcément celle qui vous convient. Vous y placerez du temps, de l’argent ou de l’énergie peut-être par passion, peut-être par peur ou par devoir, peu importe au fond. Allez voir ces réseaux de résilience territoriale, ils vous feront le plus grand bien. Créez des liens, retrouvez le plaisir d’échanger quelques mots ou un service avec un voisin.

Et les petits gestes ? Tout compte, même si rien ne sera suffisant. C’est comme se mettre en ordre de marche sur un chemin, si nous commençons à changer nos habitudes, l’une après l’autre, tranquillement mais continuellement, nous gagnerons en sérénité parce qu’une des premières conditions du bonheur est d’être en accord avec soi-même. Et nous serons un exemple pour d’autres. Greta Thunberg a commencé seule. Le Général de Gaule et les premiers compagnons de la Libération étaient une poignée, ce qui importe, disait-il, c’est d’être dans le sens de l’Histoire.

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