Une étude sans prétention de la très belle chanson de Eddy Marnay sur une musique de Michel Legrand.
D’abord la rondeur, omniprésente, mais apportée dès le début par une action extérieure :
Comme une pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau
Cette action, un peu comme le big bang, est le départ d’une histoire, d’une chronologie. Les ronds dans l’eau s’éloignent en cercles concentriques, il ne s’agit en aucun cas d’une forme immobile. D’ailleurs l’eau est symbole de vie, souligné encore par « vive ».
Et qui laisse derrière elle des milliers de ronds dans l’eau
D’ailleurs, puisqu’on parle de big bang, il y a bien une allusion au système planétaire:
Comme un manège de lune avec ses chevaux d’étoiles
Comme un anneau de Saturne, un ballon de carnaval
Et c’est à l’image d’une fête enfantine, avec des étoiles et des lumières dans les yeux, avec des plaisirs fabriqués qui font tourner aussi la tête, qui enivrent. Le genre de truc qui ne dure pas mais qui est pourtant lié à l’éternel mouvement céleste. La ronde enfantine laisse place au « chemin de ronde » des adultes, un peu enfermés dans leur course temporelle, leurs voyages, leurs engrenages.
Comme le chemin de ronde que font sans cesse les heures
Le voyage autour du monde d’un tournesol dans sa fleur
Tu fais tourner de ton nom tous les moulins de mon coeur
Ce refrain va revenir, formant lui-même une boucle et terminant le poème comme il l’a commencé, à ceci près que les mots n’auront plus la même coloration, mais n’anticipons pas.
Les plus de cinquante ans se souviennent peut-être des écheveaux de laine que leur aïeule plaçait autour de leurs bras en un long fil qui tournait sur lui-même. Là aussi, c’était un cycle, puisqu’il s’agissait d’un pull trop petit ou usé qu’on détricotait pour en refaire un neuf.
Comme un écheveau de laine entre les mains d’un enfant
Et la vieille chanson qui vous revient en tête, rappelant des souvenirs…et la fuite du temps.
Ou les mots d’une rengaine pris dans les harpes du vent
Toutes choses qui tournent et ne durent pas, et qui nous parlent des saisons de la vie ou de l’année:
Comme un tourbillon de neige, comme un vol de goélands
Sur des forêts de Norvège, sur des moutons d’océan
On remarquera aussi les rimes à l’hémistiche, rappel intérieur, dans un vers plus grand, à l’image des cercles concentriques du début.
Et puis, comme une pierre jetée, un choc qui change tout, voilà des mots qui annoncent une fin.
Ce jour-là près de la source, Dieu sait ce que tu m’as dit
Mais l’été finit sa course, l’oiseau tomba de son nid
Et voilà que sur le sable nos pas s’effacent déjà
C’est l’automne, comme une fin de vacances et le mouvement se fait vertical: les feuilles tombent, les doigts pianotent, la pluie descend. Le blanc de l’écume, de l’innocence enfantine, laisse place aux couleurs de l’automne. Etrangement, ce n’est pas cette teinte auburn des cheveux et des feuilles qui rappelle l’aimée, comme on pourrait s’y attendre. Le fait même d’être absente est comme un acte qui a entraîné l’automne: « ton absence » est en effet le sujet du verbe « donnent ».
Et je suis seul à la table qui résonne sous mes doigts
Comme un tambourin qui pleure sous les gouttes de la pluie
Comme les chansons qui meurent aussitôt qu’on les oublie
Et les feuilles de l’automne rencontrent des ciels moins bleus
Et ton absence leur donne la couleur de tes cheveux
Il est question de mort, d’oubli, d’effacement. Alors bien sûr ce n’est pas le premier poète qui relie la pluie et les larmes mais l’image est magnifiquement renouvelée par la sonorité du tambourin, qui n’est que la musique des doigts. Le musicien est quelqu’un qui exprime avec son corps, par un rythme frappé sur une table, une peine sublimée par l’art.
Et c’est l’absence qui devient peut-être cette pierre:
Une pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau
Le dernier refrain reprend la double idée des quatre saisons qui tournent et tissent des années et du vent qui emporte tout.
Au vent des quatre saisons, tu fais tourner de ton nom
Tous les moulins de mon coeur