Des esprits particulièrement lucides avaient vu juste depuis les années 1970 et même avant. D’autres, plus contemporains, ne cessent d’ajuster et d’affiner leur vision de ce que pourrait être notre avenir. Parmi ceux-ci, le célèbre Pablo Servigne, auteur de « Comment Tout Peut s’Effondrer », interviewé dernièrement par Vincent Verzat, le sympathique journaliste de la série de vidéos « Partager, c’est sympa ». Tout ceci m’inspire quelques réflexions. Qui suis-je pour vous les donner ? une romancière un peu visionnaire qui voit l’actualité à travers son filtre de collapsologue.
Lorsqu’on évoque l’effondrement, alors qu’on devrait parler d’effondrements au pluriel, l’image la plus répandue est celle des dominos tombant les uns après les autres. La crise sanitaire en cours en 2020 et 2021 est à l’évidence un de ces dominos, il y en a eu d’autres mais aucun n’a encore fait tomber toute la file. Nous vivons donc dans un système de plus en plus fragilisé, d’autant plus angoissant que nous ne sommes pas du tout prêts à affronter un effondrement de notre société capitaliste. Nous n’avons tout simplement rien à mettre à la place et aucune organisation collective susceptible de remettre rapidement de l’ordre dans le chaos qui s’ensuivrait. En clair, si de nombreuses révoltes et insurrections éclatent un peu partout sur la planète, les conditions pour une Révolution ne sont pas là.
Une première remarque suite à cette crise mondiale est l’incroyable résilience du système capitaliste. Beaucoup pensaient que la Finance mondiale serait la première à s’effondrer. Non seulement il n’en est rien mais, tant qu’on garde la confiance dans la monnaie de singe proposée en « open bar » ( expression empruntée à Victor Vauquier), l’énorme bulle financière peut encore enfler pendant plus d’une dizaine d’années. Il suffirait donc de faire tourner la planche à billets ?
Il convient de distinguer Finance et Economie. L’économie réelle est bien malade, elle, comme l’attestent les nombreuses faillites. C’est un jackpot pour les très riches, qui rachètent en nombre et à bas prix des restaurants et autres espaces commerciaux. Ils ne sont pas idiots et ils ont bien compris l’inutilité de conserver ces espaces dans leur fonction première. Les consommateurs ont évolué: soit ils n’ont plus autant d’argent et n’achètent que des produits de première nécessité, ce qui est également le cas des adeptes de la sobriété, de plus en plus nombreux, soit de nouvelles habitudes prises pendant le confinement les font se tourner vers les circuits courts, soit encore ils préfèrent tout acheter sur internet. Il faut donc anticiper les nouveaux besoins, peut-être ce qui a manqué pendant ces mois de repli sur soi: le sport, les jeux et la convivialité. La bonne vieille formule « Panem et circenses », traduit un peu abusivement par « Du pain et des jeux » fera donc ses preuves et des centres de sport indoors, de trampolines, de jeux de toutes sortes et d’ateliers d’espaces collectifs en tous genres sont à l’étude. D’autres utilisations sont envisagées, comme des logements bas de gamme (ces espaces sont peu lumineux) ou même la place pour un musée ou, si on rase tout l’ensemble commercial, pour un parc. Tout n’est pas désespérant mais, comme toujours, la détresse des uns fait le bonheur des autres et les gros mangent les petits, rien de nouveau sous le soleil.
Parlons des petits, justement, ceux qui ont tout perdu et qui sont allés grossir les rangs des SDF, des réfugiés ou des files d’attentes des restos du coeur. Ils sont 8 millions rien qu’en France à survivre dans l’extrême pauvreté et ce chiffre ne tient pas compte des invisibles. Tous ceux-là n’ont pas même la force de se révolter, et l’auraient-ils qu’ils seraient immédiatement contrôlés par les forces de l’ordre. Ils meurent par dizaines. L’avenir pour eux se résumera vraisemblablement à une vie dans des camps, où la surpopulation, la malnutrition, la violence, les épidémies et le manque d’hygiène auront raison des plus faibles. Ces camps se multiplient dans de très nombreux pays.
Sur le plan politique, les situations de crise grave amènent presque toujours un gouvernement autoritaire.
Sur le plan des ressources géologiques (sable, pétrole, etc.), on en est à remplacer celles qui font défaut par d’autres, moins facilement disponibles. Nous sommes là encore dans l’illusion que tout va bien.
L’image des douelles d’un tonneau montre que la quantité de liquide dans ce récipient sera fonction de la plus basse des douelles. Laquelle va baisser drastiquement en premier ? L’eau potable, l’air respirable, la terre cultivable ? Une des lois de la Nature est qu’un nombre d’individus sur une surface donnée est fonction de ce que peut produire cette surface.
Il suffit de regarder autour de nous pour voir que nous sommes clairement dans l’effondrement global: écologique, économique et politique. Cependant cet effondrement suit plusieurs courbes, à mon avis. Autant la biodiversité s’appauvrit de manière régulière, voire exponentielle, autant le système sociétal reste relativement stable, du moins en apparence, parce qu’il se vide progressivement de la solidarité entre ses membres qui est la base de toute association humaine. La culture, l’éducation, la justice, la santé sont en difficulté et de moins en moins en capacité de rendre les services attendus. La confiance là aussi s’amenuise et sans confiance, pas d’équilibre. La courbe ici garde la forme d’un plateau, ce qui annoncerait une chute brutale mais pour moi, c’est plutôt un escalier. Nous n’avons plus la « vie d’avant » et nous ne la retrouverons pas. Il y aura d’autres crises, d’autres pandémies, d’autres manque de matières premières, d’autres marches.
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