Au soir d’une vie – Francis Jammes


Calvaire de l'enclos paroissial de Sainte-Marie-du-Ménez-Hom en Bretagne
Calvaire de l’enclos paroissial de Sainte-Marie-du-Ménez-Hom en Bretagne

Ce texte de Francis Jammes, mis en musique par Georges Brassens, prend la forme d’une litanie, type de prière énumérative d’invocation et de supplication, pour mieux évoquer la misère humaine. La litanie est encore soulignée par les rimes suivies.

Rappelons que Francis Jammes (1868-1938) est un poète français originaire des Pyrénées.

Malgré une strophe plus optimiste, mais qui n’est pas la dernière, l’ensemble est poignant.

 La première strophe a pour thème la maladie, la blessure et la mort. A la souffrance physique s’ajoute la souffrance morale de l’incompréhension: pourquoi cet enfant et pas un autre? Pourquoi ne peut-il lui aussi jouer comme ceux de son âge ?

Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
Tandis que des enfants s’amusent au parterre

L’animal marque bien cette incompréhension, ce que nous pourrions expliquer le dépasse. Nous sommes comme cet animal et pour nous comme pour lui les desseins de Dieu sont impénétrables.

 

Et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment

Son aile tout à coup s’ensanglante et descend

Par la soif et la faim et le délire ardent

L’adresse à Marie reprend les mots de la prière, sous forme de refrain:

Je vous salue Marie

L’adresse est ambivalente: reproche ? Ultime prière de ceux qui n’ont plus de recours ? Similitude des souffrances humaines et divines ?
La deuxième strophe reprend des situations où les innocents sont des victimes de la cruauté ou de la bêtise humaine.

Par les gosses battus par l’ivrogne qui rentre,
Par l’âne qui reçoit des coup de pied au ventre
Et par l’humiliation de l’innocent châtié,
Par la vierge vendue qu’on a déshabillée,
Par le fils dont la mère a été insultée :
Je vous salue, Marie.

La troisième strophe décrit le fardeau excessif, plus lourd même que la croix du Christ. Comment Dieu permet-il que nous recevons plus que ce que nous pouvons supporter?  Injustice et incompréhension là aussi, teintés d’un reproche informulé : «trop de poids».

Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids,
S’écrie:  » Mon Dieu !  » Par le malheureux dont les bras
Ne purent s’appuyer sur une amour humaine
Comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène;
Par le cheval tombé sous le chariot qu’il traîne :
Je vous salue, Marie.

La strophe suivante insiste sur l’universalité du malheur humain avec cette superbe image :

Par les quatre horizons qui crucifient le Monde,

Les souffrances citées ne sont pas seulement intenses ou injustes, physiques ou morales, elles sont aussi nombreuses avec le pluriel : «tous ceux». Le malheur individuel se voit ici multiplié.

Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,
Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains,
Par le malade que l’on opère et qui geint
Et par le juste mis au rang des assassins :
Je vous salue, Marie.

Une strophe optimiste mais tellement isolée parmi les autres qu’on comprend bien que ce bonheur donné est l’exception. Ce bonheur est d’ailleurs plutôt un soulagement et apparaît comme en négatif sous forme de fin, provisoire, de malheur.

Par la mère apprenant que son fils est guéri,
Par l’oiseau rappelant l’oiseau tombé du nid,
Par l’herbe qui a soif et recueille l’ondée,
Par le baiser perdu par l’amour redonné,
Et par le mendiant retrouvant sa monnaie :

Je vous salue Marie

La dernière strophe est plus complexe et introduit une sorte de dualité parfois complémentaire

Par l’âne et par le boeuf, par l’ombre de la paille,

Là encore la condition humaine est une ombre de la détresse divine : à Marie qui ne trouvait pas d’auberge pour accoucher et qui se réfugia dans une étable, abri provisoire mais tellement riche de l’entraide animale et des dons de la Nature (paille), répond la pauvresse à qui on refuse même cet asile.

Par la pauvresse à qui l’on dit qu’elle s’en aille,

Une dernière image des sépultures d’enfants, surmontées d’une petite statuette en forme de colombe, bébés oubliés dans le froid de la mort et dont on ne fleurit pas la tombe. Mais la nature y pourvoit d’une certaine façon :

Par les nativités qui n’auront sur leurs tombes
Que les bouquets de givre aux ailes de colombe

La symétrie de la construction souligne la dualité inhérente à toute réalité.

Par la vertu qui lutte et celle qui succombe :

Et la prière se termine sur l’essentiel finalement.

 Je vous salue, Marie.

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