
Le compositeur Belà Bartok a composé un unique opéra intitulé Le Château de Barbe Bleue. Joué pour la première fois en 1917 à Budapest, ce drame lyrique en un seul acte et deux personnages est écrit en Hongrois.
J’ai eu la chance d’assister à une magnifique représentation à l’Auditorium de la Part-Dieu à Lyon le 30 janvier dernier, représentation précédée d’un propos explicatif. Le texte chanté en Hongrois par des artistes de très grand talent était traduit simultanément sur un écran au-dessus de la scène.
Hedwig Fassbender est une Judit toute en nuances, qui évolue lentement vers son destin face à un Barbe Bleue campé par Peter Fried, qui endosse parfaitement le personnage amoureux mais dérouté par les demandes de sa compagne. Il tente désespérément de se défendre mais cède par amour.
Bartok présente en effet le conte comme une magnifique histoire d’amour. Le véritable amour oblige à se dévoiler, à se mettre en danger d’une certaine manière pour s’offrir tout entier à l’autre, celui ou celle qu’on croit connaître mais connait-on vraiment jamais quelqu’un…
C’est donc à un voyage dans l’âme de Barbe Bleue, symbolisée par son château, que nous sommes conviés. Judit veut faire entrer la lumière dans les recoins sombres du château et va pour cela ouvrir une à une les sept portes verrouillées, malgré les supplications de son nouvel époux.
Elle dit qu’elle n’a cure des rumeurs qui circulent sur lui, mais elle les a pourtant entendues. Et la première porte donne accès à la chambre de torture où s’étale la cruauté de Barbe Bleue. C’est l’aspect le plus évident du personnage mais peut-être aussi le moins profond. on reste dans la dimension sociale avec l’ouverture de la deuxième porte qui donne sur l’arsenal, symbolisant la soif de pouvoir, toujours d’après le musicologue hongrois Györgi Kroo.
Barbe Bleue veut alors lui montrer d’autres aspects plus flatteurs et donne facilement les trois clés suivantes. Malheureusement, Judit ne sait plus voir alors les vraies richesses de l’âme de l’homme qu’elle aime. La troisième porte donne sur la salle du trésor, correspondant aux richesses spirituelles, mais elle ne voit que le possible butin de vols.
Derrière la quatrième porte, le jardin secret symbolisant la tendresse est tout aussi incompris : les plus belles fleurs semblent avoir la couleur du sang.
La cinquième porte permet d’admirer tout le domaine, qui est la fierté du Duc. Mais Judit ne voit que du sang et Barbe Bleue refuse de lui donner les clés suivantes. Judit se prend alors à douter, à se dire que les rumeurs sont vraies et ce n’est plus par amour qu’elle demande l’ouverture des autres portes mais par besoin de savoir.
Elle refuse ses baisers et son époux se résigne alors à lui montrer les peines et les chagrins enfouis au fond de lui-même: c’est le lac de larmes accessible par la sixième porte.
La septième porte cache les amours passées et Judit comprend alors qu’elle va elle aussi appartenir au passé de Barbe Bleue. En ouvrant cette dernière porte, elle ne peut plus être son avenir. Un duo vraiment poignant s’ensuit, où ils se disent adieu et elle se prépare à rejoindre dans la mémoire de Barbe Bleue les précédentes épouses, magnifiquement parées. Mais à sa grande surprise, ces femmes sont vivantes et extraordinairement belles dans la mémoire du Duc. Barbe Bleue la vêt alors d’un manteau d’étoiles et ceint son front d’une lourde couronne, représentant le poids de la connaissance. Elle sera plus belle dans la mémoire du Duc qu’elle n’était dans sa vie. Il lui explique qu’elle est la dernière de ses quatre épouses, venant après l’aube, le midi, la soirée, elle est la nuit. L’opéra se clôt par la mélodie initiale, fermant le cycle de la vie.
C’est à mon avis une version très originale, qui propose d’innombrables pistes de réflexion sur l’amour, la vie, la mémoire, la relation du couple, etc. La mise en scène, les jeux de lumière et la qualité incontestable de l’ensemble philharmonique donnent toute sa dimension à cette œuvre majeure.