
On lit toujours avec bonheur les écrits de Michel Serres, l’article paru dans Le Monde du 5 mars 2011 en est un un bel exemple.
Le philosophe âgé de 80 ans observe la jeunesse du troisième millénaire avec humour dans la forme et affection sur le fond :
J’aime d’amour ces jeunes gens.
Il aime même leur égoïsme, qui épargnera peut-être ces millions de morts tués par des groupes, des clans, des masses où l’individualité n’avait plus sa place.
L’aventure humaine continuera sans lui et sans nous et l’avenir appartient à ces jeunes enfants nés dans un monde en telle mutation qu’il fait peur à beaucoup. Les craintes devant l’inconnu valent pour les médiocres, l’ancien étudiant de la rue d’Ulm n’a pas perdu sa jeunesse d’esprit et salue cette aurore avec enthousiasme et même un brin d’envie pour ceux qui auront la chance de la vivre :
Rarissimes dans l’Histoire, ces transformations, que j’appelle hominescentes, créent, au milieu de notre temps et de nos groupes, une crevasse [,,,] comparable à celles visibles au néolithique, à l’aurore de la science grecque, au début de l’ère chrétienne, à la fin du Moyen-Age et à la Renaissance.
L’objet de son article est une interrogation sur le savoir qu’il précise en trois questions :
Que transmettre ? A qui le transmettre ? Comment le transmettre ?
En effet, nos modèles sont tellement dépassés ! Le savoir n’est plus contenu dans l’espace des bibliothèques ! Les futurs habitants de la Terre n’ont pas les mêmes souffrances, les mêmes contraintes que leurs ancêtres, la morale traditionnelle, laïque ou religieuse, ne leur est plus adaptée et ils ne la comprennent plus.
Michel Serres expose bien d’autres exemples, décrit bien d’autres points de rupture et en déduit que nous n’habitons déjà plus la même planète, la même Terre que Poucette et Poucet, comme il surnomme affectueusement les jeunes gens, toujours occupés à envoyer des SMS avec le pouce, occupés à communiquer dans une autre langue, sur un autre support, avec une autre orthographe, d’autres codes humoristiques ou moraux, dans un autre espace : le monde, dans un temps différent : l’immédiateté mais aussi une longévité étonnante.
Quel regard, aiguisé et bienveillant ! Vous êtes précieux, Monsieur Serres.
Une réflexion sur « Michel Serres »