
Le célèbre fabuliste n’a pas écrit que des fables animalières. La Jeune Veuve fait partie de ces textes un peu moins connus du grand public.
L’introduction est rapidement posée :
La perte d’un époux ne va point sans soupirs ;
On fait beaucoup de bruit ; et puis on se console
On remarque en passant le côté artificiel et superficiel du chagrin : le bruit, inévitable.
Les soupirs et la perte sont socialement lié, c’est une sorte de lot, on ne les dissocie pas. La sincérité n’est pas nécessaire puisque chaque perte est traitée de la même manière.
On poursuit par une métaphore bien sûr rebattue mais qui a le mérite d’introduire le thème en peu de mots et avec légèreté :
Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole,
La Fontaine sait à merveille jouer des répétitions, du rythme et des sonorités qu’offre la poésie pour établir des raccourcis pleins d’humour.
Entre la veuve d’une année
Et la veuve d’une journée
La différence est grande ; on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne
La mort ne séparera pas les amoureux, promet la jeune femme :
L’époux d’une jeune beauté
Partait pour l’autre monde. A ses côtés, sa femme
Lui criait : « Attends-moi, je te suis; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »
Mais la réalité n’a pas besoin de tant de mots et tombe comme un couperet:
Le mari fait seul le voyage.
On admire la sagesse et la patience du père qui laisse passer les premiers moments où il ne serait pas entendu:
La belle avait un père, homme prudent et sage ;
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler «Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :
Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Alors que le père ne donnait pas de délai clair (« tout à l‘heure » a le sens de « immédiatement«):
Je ne dis pas que tout à l’heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports;
Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt. –
La jeune femme n’a pas la sagesse et l’expérience du père et ne prend pas le temps de la réflexion:
Ah! dit-elle aussitôt,
Un cloître est l’époux qu’il me faut.»
Le temps est précisé « un mois » afin de montrer la rapidité du changement d’humeur.
Un mois de la sorte se passe
La progression est soulignée par l’énumération des changements qui se succèdent rapidement.
L’autre mois, on l’emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure :
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d’autres atours ;
Toute la bande des Amours
Revient au colombier ; les jeux, les ris , la danse,
Ont aussi leur tour à la fin :
Enfin, on arrive à une sorte de palier où la fête est quotidienne:
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de jouvence.
Chacun mettra ce qu’il veut sous cette image de la fontaine de jouvence dans laquelle on se plonge mais La Fontaine n’était pas avare de pensées polissonnes ni d’écrits licencieux. La fête est débridée, on l’a bien compris.
Le côté plaisant de la fable arrive comme une chute. Le silence du père après son discours précédent, silence dont la durée est soulignée par l’emploi de l’imparfait et qui augmente l’impatience de la jeune femme, amène la question finale, qui clôt bien l’histoire.
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :
«Où donc est le jeune mari
Que vous m’avez promis?» dit-elle.
Autres fables étudiées sur ce blog :
La Mort et le Bûcheron – La Fontaine