
Le thème de cette courte chanson est le désespoir de ceux qui n’ont pas accompli leur destinée. Il s’agit comme souvent d’une sorte de dialogue sur un ton assez informel entre un personnage humain qui ne fait ici qu’écouter et un être omniscient : Dieu. Derrière la simplicité des mots se révèle une pensée métaphysique beaucoup plus profonde et parfois un peu hermétique.
I greet you from the other side
Of sorrow and despair
Dieu nous fait signe depuis l’autre côté d’une vallée de larmes emplie de tristesse et de désespoir. Ce n’est pas vraiment l’annonce d’un Paradis mais seulement l’assurance qu’il y a bien autre chose derrière les apparences.
With a love so vast and shattered
It will reach you everywhere
L’amour divin est caractérisé par un oxymore très intéressant : il est vaste et brisé et c’est cette double caractéristique qui lui donne la possibilité d’atteindre l’homme auquel il s’adresse où qu’il soit, ce lieu étant à entendre géographiquement mais aussi peut-être mentalement ou psychologiquement – où qu’il en soit dans son désespoir…
And I sing this for the captain
whose ship has not been built
Peut-on vraiment considérer comme capitaine un homme sans navire ? Oui si l’on considère l’être en devenir, ou, de manière un peu plus complexe, le destin tracé de cet homme, un destin qui serait écrit au conditionnel passé : ce qu’il aurait dû être. Leonard Cohen n’écrit pas que le navire n’est pas construit, ce qui laisserait un espoir, mais qu’il n’a pas été construit. Le désespoir provient donc bien d’un constat d’échec. L’individu se sent investi d’une mission et n’a pas les moyens de l’accomplir, d’où ce terrible déchirement.
Il en est de même pour la mère sans enfant avec cette nuance que le berceau est encore vide mais on ressent une attente encore possible: ce n’est pas « empty », c’est « still unfilled ». Aussi ressent-elle plus de désarroi que de désespoir.
La liste des couples attendus se poursuit : le cœur sans son compagnon, l’âme sans guide spirituel, l’artiste de haut niveau qui ne peut rien exprimer. Il manque à tous la dimension spirituelle qui leur permettrait de s’accomplir. Et le chant, comme une prière, s’élève pour eux avec « for » en début de chaque vers.
For the heart with non companion
For the soul without a king
For the prima ballerina
Who cannot dance to anything
L’homme à qui Dieu s’adresse, le chanteur Léonard Cohen par exemple, ou chacun de ses auditeurs, a donc une pression supplémentaire pour accomplir sa mission, pour tenir sa promesse coûte que coûte et en dépit des temps difficiles qu’il lui reste à traverser et même si cette promesse n’a aucune valeur. Il doit réussir pour tous ceux qui ont échoué, qui n’ont pas su ou pas pu ou pas compris.
Through the days of shame that are coming
Through the nights of wild distress
Tho’ your promise count for nothing
You must keep it nonetheless
On entame alors la répétition du deuxième quatrain, où l’homme (you) a remplacé Dieu (I) en tant que sujet de l’action.
You must keep it for the captain…
On remarquera que le jour est en société, avec la honte (shame) qui demande un public pour exister et que la nuit s’opère un retour à des temps sauvages (wild) où l’humain est perdu et en totale détresse.
Voilà ce que j’ai cru comprendre de ce texte et j’attends bien sûr les apports de mes lecteurs en commentaires pour poursuivre cette analyse de texte.