Le temps a laissé son manteau – Charles d’Orléans


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Les cascades du Hérisson, dans le Jura.

Charles d’Orléans, ce jeune roi emprisonné durant 25 ans, nous a laissé de très beaux poèmes. Celui-ci me touche particulièrement par sa simplicité et sa musique. Tout est dit et ressenti en si peu de mots.

Les rimes en -o et -i me donnent l’impression d’être tour à tour émerveillée (oh!) et remplie de joie jusqu’à rire sans raison (hi!), ce qui est exactement l’effet du printemps.  On sent comme une exubérance, un enthousiasme.

Le temps, beau ou mauvais, est le même, c’est juste son apparence qui change et cela change tout. On échange entre deux rimes la pluie contre la broderie. Remarquez la différence entre « a laissé » qui suggère quelque chose d’usé, de fatigué, de peu de valeur et « s’est vêtu » qui souligne le soin que l’on porte à un vêtement. A cette époque, comme à la nôtre d’ailleurs, le vêtement est une marque de classe sociale. Assurément, le nouvel habit du printemps marque son haut rang. Le « manteau » recouvrait, protégeait, cachait; la broderie va de pair avec les sorties, les fêtes, les relations sociales (pour la nature, ce sera avec les animaux).

Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie

Et s’est vêtu de broderie

De soleil luisant, clair et beau.

Tous les animaux chantent ou crient cette nouvelle qui revient comme un refrain qu’on ne se lasse pas d’entendre : Le vent a laissé son manteau ! La fête est plaisir des yeux, mais aussi de l’ouïe avec les sons, les chants, la musique, la variété des langages. Nous sommes bien dans une relation sociale festive et multiple. On ne fait pas la fête tout seul, tous participent, dans une grande communion joyeuse. Personne n’est indifférent : « il n’y a ni…ni ».

Il n’y a ni bête, ni oiseau,

Qu’en son jargon ne chante ou crie

Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie.

L’eau est devenue festive, contrairement à la pluie, et la fête ne regarde pas à la dépense : c’est somptueux (argent, orfèvrerie). Les gouttes d’argent font penser à un blason. La nature se vêt royalement. Ce que l’homme sait faire de plus beau, la nature le présente partout comme le suggère l’énumération au pluriel : rivières, fontaines et ruissaux. Et chacun, animal, humain, végétal, élément naturel… participe en s’habillant de neuf (comprendre ainsi l’expression « de nouveau »).

Rivières, fontaines et ruisseaux

Portent, en livrée jolie,

Gouttes d’argent, d’orfèvrerie;

Chacun s’habille de nouveau

Le temps a laissé son manteau.

Le dernier vers agit comme un résumé de tout le reste : tout le reste est sous-entendu ou compris dans ce vers, voilà la cause et l’explication de toute cette fête. En répondant au premier vers, il souligne le caractère cyclique de cette saison. Enfin, j’admire la manière dont les mêmes mots peuvent changer de nuance selon le contexte : ce vers se dira bien différemment du premier vers et du même dans la deuxième strophe.

Et on rit de bonheur avec ce jeune homme du XIVème siècle, si proche de nous dans cette émotion de voir la nature renaître, de la même façon chaque année, que ce soit aujourd’hui ou au moyen-âge.

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