La reine des neiges – Hans Christian Andersen


La rose de Gerda
La rose de Gerda

Ce très long conte d’Andersen nous touche directement : nous avons tous reçu à un moment ou un autre de notre vie ce petit fragment de miroir diabolique dans le coeur.

Le conte est construit autour de plusieurs histoires qui se rejoignent :

La première est celle du miroir et de ses morceaux avec cette facétie du pire des trolls : le diable. Tel le manipulateur moyen, celui-ci présente un miroir de sa fabrication où tout est subtilement déformé : ce qui est beau et bon est avili, dénigré alors qu’au contraire ce qui est laid est mis en valeur.

Les trolls trouvent cela si drôle qu’ils s’amusent à présenter le miroir devant tout ce qui fait la beauté du monde puis ils décident de s’élever vers le « Bien absolu », c’est-à-dire Dieu.  Mais, le miroir grimace si fort devant la vison des anges qu’il leur échappe et tombe sur la terre où il se brise en milliers de petits morceaux. Ainsi les inventions échappent parfois à leur inventeur, plus souvent pour le pire que pour le meilleur.

Nous avons tous ressenti un jour l’impression que tout était laid autour de nous ou connu des gens qui n’arrivent pas à positiver. Ainsi l’adolescent sera agacé par ses parents qui tentent de l’aider ou de le conseiller.

« Quelques morceaux de miroir furent assez grands pour servir de vitres, mais à travers ces vitres-là, il n’était pas bon de voir ses amis »

L’explication symbolique d’Andersen nous présente ce comportement comme n’étant pas de notre responsabilité puisqu’un fragment de miroir s’est logé dans notre oeil ou pire, dans notre coeur. Nous sommes ainsi déculpabilisés et peut-être davantage prêts à accueillir celui ou celle qui viendra nous guérir en nous faisant accéder à l’âge adulte.

La seconde histoire est une belle histoire d’amitié entre deux enfants : Kay et Gerda. Le petit Kay a une grand-mère aimante, qui lui explique le monde en lui racontant des histoires. Andersen donne un rôle fondateur aux grand-mères de ses contes. L’auteur fait l’éloge d’une vie simple où s’asseoir en se tenant par la main pour admirer des roses suffit au bonheur.

Lorsque le petit Kay est atteint à l’oeil et au coeur par une poussière de miroir, il devient un « intellectuel » : il se moque de la naïveté des vieux contes de sa grand-mère, voit les imperfections des roses du jardin, et préfère étudier les mathématiques que jouer à des jeux d’enfants. Andersen ne nie d’ailleurs pas l’attrait de la science. Sa recherche de la perfection l’empêche d’aimer les choses simples de la vie. Mais la perfection est rare et fugace :

«  Un jour d’hiver, comme il neigeait fort, il sortit une grande loupe […] -regarde dans le verre, Gerda, dit-il, et chaque flocon devint beaucoup plus gros et eut l’air d’une fleur magnifique ou d’une étoile à dix côtés, c’était superbe »

« Et il n’y a pas là le moindre défaut, les flocons sont parfaits, tant qu’ils ne fondent pas. »

La Reine des neige a cette perfection du flocon glacé, alors que la petite Gerda serait plutôt assimilable à une rose du jardin. Nulle trace des couleurs de la vie dans la blancheur immaculée de son traîneau ou de ses vêtements ! Kay accroche sa luge derrière le grand traîneau et lorsqu’ils quittent la ville, il s’aperçoit qu’il ne peut plus se détacher. Le voilà pris au piège : il est trop tard pour revenir à ce qui le guidait dans sa vie d’autrefois :

« Kay était épouvanté, il voulut dire son Notre Père mais il ne put se rappeler que la grande table de multiplication ».

Belle image de l’irrationnel qui permet de mieux surmonter les difficultés morales ( ici l’épouvante devant l’inconnu), que la logique et l’instruction.

Le baiser de la Reine des Neige est plus froid que la glace mais lui permet de ne plus rien ressentir et donc de ne plus souffrir. Un deuxième baiser lui apporte l’oubli.

« Tu n’auras pas d’autre baiser, dit-elle, car un de plus te tuerait »

En effet, sans souvenir ni sensation, Kay est comme amputé et n’a plus qu’une vie purement intellectuelle.

La troisième histoire démarre avec le chagrin de la petite Gerda qui ne peut se résoudre à la mort annoncée de son ami, d’ailleurs tout dans la nature : le soleil, les hirondelles, lui annonce que Kay n’est pas mort.

Gerda quitte la grand-mère, et met ses souliers rouges, qui marquent son entrée dans la puberté. Elle est prête à offrir ce qu’elle a de plus cher pour le retour de son bien-aimé : ses souliers rouges, symboles de son corps de femme. Mais le temps n’est pas venu et la barque l’entraîne sur l’eau plus vite qu’elle ne voudrait. Ainsi Andersen a-t-il eu souvent l’impression de ne pas maîtriser le cours de sa vie.

Gerda , elle aussi, est tentée d’oublier le passé, de refuser les épreuves, et de se laisser aller à la facilité : elle s’arrête près d’une étrange maison où vit une sorcière.

« il y avait sur la table de délicieuses cerises, et Gerda en mangea autant qu’elle voulut, car pour cela elle avait du courage »

La maison est à l’inverse du palais de la reine des neige : tout est coloré mais on peut se perdre aussi à ne se contenter que de rassasier ses besoins enfantins : nourriture et loisirs faciles.

« Les fenêtres étaient situées haut et les carreaux étaient rouges, bleus et jaunes ; la lumière du jour était singulière à l’intérieur »

«  Et à mesure qu’elle [ la sorcière ] peignait les cheveux de la petite Gerda, la fillette oubliait de plus en plus Kay »

Parmi les nombreuses fleurs du jardin, on ne trouve aucune rose, qui aurait pu rappeler Kay à Gerda.

« Gerda connaissait chaque fleur, et si nombreuses qu’elles fussent, il lui semblait qu’il en manquait une »

Ainsi cette vie n’est-elle pas complète et on ne pourrait s’en contenter : il faut grandir et quitter l’enfance. Aucune sorcière, aucun amour parental excessif ne pourrait vous en empêcher.

« elle voit que la plus belle est justement une rose. La vieille femme avait oublié de l’enlever lorsqu’elle avait fait disparaître les autres dans la terre. C’est comme ça, on ne pense pas à tout. »

Ce temps de latence de l’adolescence, à l’image du sommeil de la Belle au bois dormant, donne l’impression de temps perdu.

« Oh, que de temps j’ai perdu ! dit la fillette. »

A un moment, personne ne peut vous aider car chacun a sa propre histoire à vivre :

« mais chaque fleur, tournée vers le soleil, rêvait de son propre conte ou de sa propre histoire »

On remarquera d’ailleurs la différence de signification entre les termes « conte » et « histoire », employés tous les deux : les rêves ou les souhaits que l’on imagine pour sa vie sont plus ou moins réalistes. Chaque fleur a ainsi une histoire différente à raconter, chacun vit l’amour à sa façon mais souvent la mort est au rendez-vous. Andersen reste fondamentalement quelqu’un de profondément triste.

Gerda , à force d’efforts et de ténacité, et à de nombreuses aventures qui feront chacune l’objet d’une histoire différente, emboîtées dans le conte, parviendra à rejoindre Kay dans le palais de la Reine des neiges et, grâce à sa piété, à ses prières sincères et ses chaudes larmes, pourra déloger le fragment de miroir maléfique.

Ils reviendront chez eux mais

« au moment où ils franchirent la porte, ils s’aperçurent qu’ils étaient devenus grandes personnes »

et « la pendule disait « dik, dik » et l’aiguille tournait »

Il leur faudra retrouver cette part d’enfance logée en chacun de nous pour accéder pleinement au bonheur, pour avoir une personnalité équilibrée et complète:

« La grand-mère était assise à la lumière du soleil de dieu et lisait à haute voix dans la Bible : si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu ».

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23 réflexions sur « La reine des neiges – Hans Christian Andersen »

  1. Merci pour cette analyse ! Je viens de terminer ma lecture de ce joli conte et bien que touchant du doigt le message, je n’aurais pas réussi à en capter si précisément le sens.

  2. Bonjour
    Comment selon vous pourrait on analyser le rapport à la corneille dans le conte ?
    Merci beaucoup
    Aurélie

    1. Bonjour,
      Question très intéressante. On pourrait faire une lecture du conte en ne s’intéressant qu’aux oiseaux : le merle (le diable) la poule blanche qui tire le traineau de Kay, les moineaux qui consolent et bien sûr la corneille ou plutôt le couple de corneilles. Entre espèces : humain/oiseau, il y a déjà une difficulté de communication. Les codes sont différents, comme entre le palais et la campagne, lieux de vie des corneilles. La corneille est bienveillante et aidante. Elle va faire beaucoup d’efforts pour débloquer la situation de Gerda mais elle ne pourrait y parvenir sans l’aide de son « mari », qui connait le palais et ses usages. Sa bonne volonté ne suffit pas mais ses relations vont s’avérer indispensables. La corneille campagnarde est simple et sincère aussi et aime Gerda. Si l’on veut parvenir à son but, il faut parfois sacrifier une belle relation comme celle-ci. Il y a des éléments autobiographiques ici, sous l’image anthropomorphique de cette corneille.
      En espérant vous avoir donné quelques pistes à creuser…

      1. Merci beaucoup d’avoir pris du temps pour me répondre !!
        C’est très gentil.
        Ca m’aidera.
        Bien à vous,
        Aurélie.

  3. Parfois le Roi des Neiges, en une nuit profonde,
    Dans son crâne compose un quatrain nonchalant
    Dont il retouche un vers, parfois, en grommelant ;
    Le délire entre ses oreilles brûle et gronde,

    Tandis qu’éblouissant les horizons funèbres,
    Le désespoir glacé luit dans le morne azur ;
    L’angoisse du vieux roi rend son esprit obscur,
    Un âpre frisson court le long de ses vertèbres.

    Le roi médite seul sur la neige livide,
    Au seuil de son palais où tout le monde boit.
    Les grands seigneurs en fête ou le peuple aux abois,
    Que lui fait tout cela, puisque le monde est vide ?

  4. très beau conte hors pour un devoir il me faudrait la moral du conte la reine des neige d’Andersen s’il vous plait merci d’avance

    1. Andersen ne donne pas de morale comme La Fontaine par exemple. Il est souvent pessimiste et ses contes ont une grande part autobiographique. En s’éloignant des valeurs simples, en vivant parmi les riches et les puissants par exemple, comme Andersen à la cour, on devient malheureux et on rend les autres malheureux, sans même s’apercevoir qu’on n’a plus de cœur.

  5. Très bel article ! Je le découvre car je viens de lire le livre « La forêt des coeurs glacés » de Anne Ursu, qui s’est inspirée du conte d’Andersen. Très beau roman où en effet, on retrouve le conte et plus encore.

  6. bonjour et merci pour ces commentaires du texte.

    Je ne vous connais pas en dehors de cette page sur la Reine des Neiges… mais
    je m’occupe d’une petite cie théâtre (emeranox, cf notre site) et je répète actuellement avec deux comédiennes sur une adaptation théâtrale de ce conte qui me fascine depuis bien longtemps.

    Je suis toujours à la recherche de commentaires, d’analyse etc… de ce texte afin d’enrichir mon adaptation;

    si vous avez d’autres infos, des idées à partager etc… n’hésitez pas à nous contacter svp.

    merci
    Isabelle

    1. Merci pour votre visite. Je souhaite du succès à votre compagnie. Je fais également partie d’une association de spectacle pour enfants « Le Chat Troubadour » mais nous jouons Victor Hugo.

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