
Anouilh pastiche La Fontaine : La cigale
La cigale ayant chanté
tout l’été,
Et nous voilà bien au XXème siècle et dans le milieu du show business:
Dans maints casinos, maintes boîtes
Une variante infime fait toute la différence: « bien pourvue » remplace « dépourvue »
Se trouva fort bien pourvue
Qaund la bise fut venue.
On continue sur le même ton:
Elle en avait à gauche, elle en avait à droite,
Dans plusieurs établissements
Restait à assurer un fécond placement
Entrée du renard:
Elle alla trouver un renard
Spécialisé dans les prêts hypothécaires
Le renard est banquier, cela en dit long sur l’honnêteté que leur prête Anouilh
Qui, la voyant entrer l’œil noyé sous le fard,
Toute enfantine et minaudière,
Crut qu’il tenait la bonne affaire.
Discours du trompeur, tablant sur le lieu commun de l‘artiste dépeint par La Fontaine. Il commence par des flatteries:
Madame, lui dit-il, j’ai le plus grand respect
Pour votre art et pour les artistes
Puis il dénigre l’argent en comparaison
L’argent, hélas, n’est qu’un aspect
Bien trivial , je dirais bien triste
Si nous n’en avions tous besoin
De la condition humaine.
Il souligne le travail que demande la gestion
L’argent réclame des soins.
Il ne doit pourtant pas devenir une gêne,
Il veut bien faire ce travail désagréable, lui qui n’a pas de dons pour ce qui est supérieur: l’Art
A d’autres qui n’ont pas vos dons de poésie
Vous qui planez, laissez, laissez le rôle ingrat
De gérer vos économies,
Les deux occupations sont même antinomiques au point que le précieux don de l’artiste peut en être affecté:
A de trop bas calculs votre art s’étiolera.
Vous perdriez votre génie.
L’acte demandé est «petit», ce n’est presque rien
Signez donc ce petit blanc-seing
Et ne vous occupez de rien
Souriant, avec bonhomie,
«Croyez, Madame, ajouta-t-il, je voudrais, moi,
Pouvoir, tout comme vous, ne sacrifier qu’aux muses!»
Basculement de la fable exactement à l’hémistiche de l’alexandrin:
Il tendait son papier. «Je crois que l’on s’amuse»
Lui dit la cigale, l’œil froid
La différence entre les deux personnages est soulignée par l’opposition entre «sucre et miel» et «acier, rimmel», l’acier rappelant le poignard qui brille sous le manteau et par là-même annonçant un danger potentiel.
Le renard, tout sucre et miel
Vit un regard d’acier briller sous le rimmel
Le renard a trouvé son maître :
«Si j’ai frappé à votre porte
Sachant le taux exorbitant que vous prenez
C’est que j’entend que la chose rapporte
et la cigale est bien renseignée:
Je sais votre taux d’intérêt
Elle demande ce que l’usurier gagne, rien de moins. Imaginez que vous demandiez à une banque d’augmenter le taux d’intérêt du livret A en l’alignant sur le taux d’intérêt d‘un usurier, lorsque vous empruntez. Cela passe à la louche de 1,75 % à 18 %. D’où le choc pour le renard .
C’est le mien. Vous l’augmenterez
Légèrement, pour trouver votre bénéfice
Suivent les menaces à peine voilées:
J’entends que mon tas d’or grossisse
J’ai un serpent pour avocat
Il passera demain discuter du contrat»
L’oeil perdu, ayant vérifié son fard,
Drapée avec élégance
Dans une cape de renard
(Que le renard feignit de ne pas avoir vue)
Dernier coup, hélas souvent vérifié. L‘immoralité est complète:
Elle précisa en sortant:
Je veux que vous prêtiez aux pauvres seulement…»
(Ce dernier trait rendit au renard l’espérance.)
«Oui, conclut la cigale au sourire charmant,
On dit qu’en cas de non-paiement
D’une ou l’autre des échéances
C’est eux dont on vend tout le plus facilement.
On s’amusera de voir «cynique» rimer avec «musique» dans la moralité et du double sens d’ « apprendre la musique » qui au sens figuré signifie devenir moins naïf. Le « maître » (Renard) a trouvé son maître et il « s’incline ».
Maître Renard qui se croyait cynique
S’inclina. Mais depuis, il apprend la musique.