Le Pont Mirabeau -Guillaume Apollinaire


Le thème de la vie qui s’écoule tel un flot ininterrompu n’est pas nouveau mais Apollinaire écrit ici un poème qui est à lui seul l’image de l’écoulement («coule la Seine»), donc de ce qui passe, et de la durée (« le pont Mirabeau »), ainsi que de l’individu et de l’univers qui l‘entoure.

«La Seine» et «nos amours» sont sujets du même verbe, marquant ainsi la similitude de ce qui est passager (nos amours) et de ce qui dure (la Seine) et de ce qui est personnel (nos amours) et pourtant partagé par tous (la Seine).

  Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours

Le refrain est par nature un éternel retour, ici le retour du même distique. On retrouve la similarité de ce qui pourrait paraître opposé par nature : le jour et la nuit, le singulier et le pluriel, s’en aller et demeurer. Au bout du compte, tout est égal.

 Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Dans ce refrain, le pronom «je» fait référence au pont Mirabeau et à son immobilité dans le temps et l’espace. Ce pont sera là après notre mort ou après la mort de nos amours, de nos souvenirs. La nuit », « l’heure », au singulier, c’est l’image de la mort, de la dernière heure.

Chaque goutte de l’eau de la Seine, à l’image des jours, sera passée pour ne plus revenir mais en même temps, l’eau continue d’être présente et de couler.

Le poète Jules Supervielle a bien décrit également cette eau courante

Ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre

 Annoncés comme un refrain  par «venait toujours», les opposés «joie» et «peine» se succèdent.

La joie venait toujours après la peine

On attendait logiquement la peine après la joie mais ce n’est pas le premier amour. «Faut-il qu’il m’en souvienne» est relié à ce qui précède : aux amours disparues, au passé, comme à ce qui suit, marquant l‘éternel recommencement et la lassitude qui s‘ensuit, marquée par « faut-il ». La valeur de l’imparfait, soulignée par «toujours», marque bien cette habitude pénible et en même temps cette espérance, cette consolation qu’on devine.

 Chaque fois qu’on parle d’amour

C’est avec jamais et toujours

On refait le même chemin

En ne se souvenant de rien

Chante Barbara

Là encore, l’amour est un éternel recommencement et si on connaît le chemin, cela ne va pas sans une certaine lassitude, portée par l‘eau. Le pont est devenu humain et fragile, peu durable. Cette fois-ci, le point de vue est inversé : «éternels» qualifie les regards d’amoureux, des personnes toujours différentes mais pourtant toujours présentes sur ce pont et qui regardent couler la Seine.

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Similitude et opposition encore pour cette eau qui s’en va comme l’amour et qui est rapide, «courante» alors que la vie est «lente» et semble s’étirer indéfiniment. Opposition encore entre la lassitude, l’ennui ressenti et la violence de l’Espérance.

L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

On remarquera que « passent » et « coule » sont synonymes dans ce texte.  Rien ne revient à l’identique.

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

 Guillaume Apollinaire (1880 – 1918) a été blessé à la tempe par un éclat d’obus lors de la première guerre mondiale et si en passant nous donnons un coup de chapeau « à l’Apollinaire » comme le chante Brassens, nous pensons avec Jacques Prévert : « Quelle connerie la guerre ! » Rapatrié chez lui, il meurt quelques mois plus tard de la grippe espagnole.
   

5 réflexions sur « Le Pont Mirabeau -Guillaume Apollinaire »

  1. Vie de chien

    La vie que j’ai menée, m’a laissé sans modèle.
    Suis-je le messie qu’annonçait la prophétie?

    Le brouhaha, ah, ah, ah, laisse la place au silence.
    Tous ou presque me regardent avec un drôle d’air.
    Un air entendu, je ne sais plus combien de fois!
    Tellement, tellement, qu’il en devient ahurissant.
    À preuve cet exemple concordant le plus récent,
    de Téhéran à Jérusalem, l’accord est général:
    il est fou! Le sentiment que j’ai de moi se confirme.
    La prophétie dit que j’apporterai la paix sur terre.
    Elle a même prévu une mise en mort, soignée,
    pour compenser le trou du budget militaire.
    Et donc opérée dans les règles de l’art qui satisfait
    aux règles communes à toutes les religions.
    Au calcul rationnel, le scalpel, aux patients,
    (pensez à prendre rendez-vous), la prière.
    J’accepte, je consens, je dis oui à l’Apocalypse.
    La mort n’est rien. L’amour n’a pas de prix.
    Le messie se sépare de tous les maquignons.
    Radical à dessein, il ne discute pas le bout de gras.
    D’ailleurs, quel poseur-laveur de carreaux riches
    témoignera qu’il m’a vu à Camp David ou Oslo?
    J’entends une explosion. Après la joie, la haine.
    Tout va bien. Je viens de franchir le mur du son.
    Cette fois, j’ai l’absolue certitude de moi-même.
    La prophétie atteste que je descendrai du ciel
    au milieu des flammes. Personne ne me reconnaîtra.
    Le monde entier s’unira dans l’unanime humanité.
    Il verra en moi, l’adversaire qu’il attendait.
    Je n’ai pas peur. Je suis le peintre sans pinceau
    qui oeuvre au noir du miroir. Qu’imaginiez-vous?
    Que le messie n’a pas prévu de porte de sortie?
    Eh bien! Regardez-vous! C’est vous, la porte.

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