Le thème de la vie qui s’écoule tel un flot ininterrompu n’est pas nouveau mais Apollinaire écrit ici un poème qui est à lui seul l’image de l’écoulement («coule la Seine»), donc de ce qui passe, et de la durée (« le pont Mirabeau »), ainsi que de l’individu et de l’univers qui l‘entoure.
«La Seine» et «nos amours» sont sujets du même verbe, marquant ainsi la similitude de ce qui est passager (nos amours) et de ce qui dure (la Seine) et de ce qui est personnel (nos amours) et pourtant partagé par tous (la Seine).
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Le refrain est par nature un éternel retour, ici le retour du même distique. On retrouve la similarité de ce qui pourrait paraître opposé par nature : le jour et la nuit, le singulier et le pluriel, s’en aller et demeurer. Au bout du compte, tout est égal.
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Dans ce refrain, le pronom «je» fait référence au pont Mirabeau et à son immobilité dans le temps et l’espace. Ce pont sera là après notre mort ou après la mort de nos amours, de nos souvenirs. La nuit », « l’heure », au singulier, c’est l’image de la mort, de la dernière heure.
Chaque goutte de l’eau de la Seine, à l’image des jours, sera passée pour ne plus revenir mais en même temps, l’eau continue d’être présente et de couler.
Le poète Jules Supervielle a bien décrit également cette eau courante
Ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre
Annoncés comme un refrain par «venait toujours», les opposés «joie» et «peine» se succèdent.
La joie venait toujours après la peine
On attendait logiquement la peine après la joie mais ce n’est pas le premier amour. «Faut-il qu’il m’en souvienne» est relié à ce qui précède : aux amours disparues, au passé, comme à ce qui suit, marquant l‘éternel recommencement et la lassitude qui s‘ensuit, marquée par « faut-il ». La valeur de l’imparfait, soulignée par «toujours», marque bien cette habitude pénible et en même temps cette espérance, cette consolation qu’on devine.
Chaque fois qu’on parle d’amour
C’est avec jamais et toujours
On refait le même chemin
En ne se souvenant de rien
Chante Barbara
Là encore, l’amour est un éternel recommencement et si on connaît le chemin, cela ne va pas sans une certaine lassitude, portée par l‘eau. Le pont est devenu humain et fragile, peu durable. Cette fois-ci, le point de vue est inversé : «éternels» qualifie les regards d’amoureux, des personnes toujours différentes mais pourtant toujours présentes sur ce pont et qui regardent couler la Seine.
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasseVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Similitude et opposition encore pour cette eau qui s’en va comme l’amour et qui est rapide, «courante» alors que la vie est «lente» et semble s’étirer indéfiniment. Opposition encore entre la lassitude, l’ennui ressenti et la violence de l’Espérance.
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violenteVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
On remarquera que « passent » et « coule » sont synonymes dans ce texte. Rien ne revient à l’identique.
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la SeineVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Je ne suis pas sûr qu’Apollinaire soit mort « quelque part dans une tranchée…
et où est-il mort d’après vous ?
Dans son lit de la grippe espagnole qui fit aussi bien des victimes en 1918
Effectivement. Il a été blessé à la tempe par un éclat d’obus et, affaibli, il a ensuite contracté cette terrible maladie.
Vie de chien
La vie que j’ai menée, m’a laissé sans modèle.
Suis-je le messie qu’annonçait la prophétie?
Le brouhaha, ah, ah, ah, laisse la place au silence.
Tous ou presque me regardent avec un drôle d’air.
Un air entendu, je ne sais plus combien de fois!
Tellement, tellement, qu’il en devient ahurissant.
À preuve cet exemple concordant le plus récent,
de Téhéran à Jérusalem, l’accord est général:
il est fou! Le sentiment que j’ai de moi se confirme.
La prophétie dit que j’apporterai la paix sur terre.
Elle a même prévu une mise en mort, soignée,
pour compenser le trou du budget militaire.
Et donc opérée dans les règles de l’art qui satisfait
aux règles communes à toutes les religions.
Au calcul rationnel, le scalpel, aux patients,
(pensez à prendre rendez-vous), la prière.
J’accepte, je consens, je dis oui à l’Apocalypse.
La mort n’est rien. L’amour n’a pas de prix.
Le messie se sépare de tous les maquignons.
Radical à dessein, il ne discute pas le bout de gras.
D’ailleurs, quel poseur-laveur de carreaux riches
témoignera qu’il m’a vu à Camp David ou Oslo?
J’entends une explosion. Après la joie, la haine.
Tout va bien. Je viens de franchir le mur du son.
Cette fois, j’ai l’absolue certitude de moi-même.
La prophétie atteste que je descendrai du ciel
au milieu des flammes. Personne ne me reconnaîtra.
Le monde entier s’unira dans l’unanime humanité.
Il verra en moi, l’adversaire qu’il attendait.
Je n’ai pas peur. Je suis le peintre sans pinceau
qui oeuvre au noir du miroir. Qu’imaginiez-vous?
Que le messie n’a pas prévu de porte de sortie?
Eh bien! Regardez-vous! C’est vous, la porte.